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que le moindre fragment de marbre, la moindre terre cuite, sortie négligemment de leurs mains heureuses, nous en dit plus long, sous ce rapport, que les chefs-d’œuvre même les plus mâles ou les plus élégans de la renaissance, fille savante de l’antiquité, mais fille inquiète et agitée ? Comment donc blâmer les artistes, sains et laborieux, qui vont, de ce côté, chercher, dans ce temps de malaise intellectuel et de songeries pessimistes, le calme joyeux et noble de l’imagination ?

Quelle clarté, quelle netteté, quelle lumière dans ce génie grec ! Lorsqu’un sculpteur veut traduire une pensée humaine en langage plastique, c’est toujours à lui qu’il doit s’adresser ! Avec quelle abondance et quelle aisance les Grecs ont répandu sur la terre une quantité d’êtres imaginaires personnifiant si vivement tous les phénomènes de la nature et tous les états de l’âme qu’aucune civilisation postérieure ne les a pu remplacer ! Voyez combien les allégories réalisées par eux sont encore aujourd’hui intelligibles, vivantes, souvent populaires ! combien les allégories du moyen âge et de la Renaissance restent le plus souvent obscures, inexpliquées, malgré des surcharges d’accessoires explicatifs ! Aussi n’est-il pas étonnant que tant d’artistes bien doués, mais chez lesquels les facultés d’invention ne sont pas développées à l’égal de la puissance d’exécution, s’en tiennent à ces allégories traditionnelles, qu’il est toujours possible de ranimer suffisamment, par l’addition d’un accent personnel, pour qu’elles nous charment de nouveau, malgré leur ancienneté. Comme d’habitude, nous avons donc cette année une collection de Vénus, de Dianes, de nymphes des bois, de nymphes des eaux ; il en sera sans doute ainsi tant qu’il y aura des sculpteurs au monde.

La Querelle d’amour, par M. Tony-Noël, a tout juste, au point de vue intellectuel, l’importance d’une odelette anacréontique ou d’un distique de l’anthologie. Une jeune nymphe, nue et vive, vient d’enlever sa flèche à l’Amour ; elle refuse de la lui rendre, et l’en menace en sautillant, tandis que le gamin, gambadant, s’accroche à sa jambe. Comme combinaison aimable de mouvemens et de lignes, comme légèreté et comme gaité, c’est tout à fait charmant ; cela fera un fort joli bronze. Il y a beaucoup de distinction aussi dans la façon dont M. Renaudot nous a représenté Diane. Grande, longue, svelte, comme la Diane de Fontainebleau, elle est assise sur une pierre, et caresse le cou d’un grand lévrier dont elle semble contenir l’ardeur. L’attitude est juste, l’expression chaste et doucement fière, et l’exécution du marbre est menée avec soin et délicatesse. M. Mathet, dans son Oréade, nymphe de montagnes, s’est efforcé de déterminer avec plus de hardiesse le