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l’on dit, des questions « troublantes. » Ce sont aussi des questions dont il n’est ni permis ni d’ailleurs loisible à personne de se désintéresser. Et c’est pourquoi, si je n’ai ni le temps, ni la place, ni peut-être la compétence qu’il faudrait pour les traiter selon leur étendue, j’ai cependant pensé qu’il ne serait pas inutile d’indiquer au moins les solutions que M. Tarde en propose.

Mais il est une autre question, d’où dépend en partie la première de celles que M. Tarde examine : c’est la question de savoir s’il existe un Type criminel, ou, pour mieux dire, — et afin de lever d’abord toute équivoque, — c’est la question de savoir s’il y a des criminels-nés, dont la nature serait de voler ou de tuer, comme celle du loup, par exemple, est de se repaître de chair, et qui ne seraient pas plus maîtres des exigences de leurs instincts ou de la nécessité de leurs impulsions que de la forme de leur crâne, de la ‘ »saillance de leurs zygomes, » et de la couleur de leurs cheveux. Toute une école dit oui, une école importante, une école bruyante ; et quelques objections qu’on lui ait de toute part opposées, c’est ce que soutient encore dans son livre récent, sur les Progrès de l’anthropologie criminelle, le professeur Lombroso[1].

J’aimerais à parler ici du professeur Lombroso, de ses « mensurations ; » de ce qu’il appelle ses « expériences ; » et des « nouveaux sillons, » comme il dit encore lui-même, qu’il s’attribue l’honneur « d’avoir tracés dans le monde scientifique. » Mais je me borne à dire, sauf un jour à le mieux faire voir, que jamais peut-être on n’avait fait servir le nom de la science à déguiser de pareilles contrefaçons d’elle-même. Et, puisque aussi bien, comme nous l’apprend M. Tarde, « le résultat le plus net » du dernier congrès d’anthropologie criminelle a été « de réduire le type criminel à l’état de fantôme, » nous pourrions presque nous contenter d’enregistrer cet important aveu. Criminel d’occasion ou criminel d’habitude, assassin ou voleur, le criminel n’est pas un fou ni un dégénéré, que l’on puisse reconnaître à des signes certains, tels que la « malformation de l’hélix ou de Panthélix, » « l’obliquité des yeux, » ou « la division quadripartite du lobe frontal. » Il n’est pas non plus un sauvage, en qui l’atavisme aurait fait reparaître ou revivre, pour son malheur, les traits de l’animalité primitive, un singe anthropoïde, ou, — comme le héros de la Bête humaine, de M. Zola, — un homme des cavernes ressuscité parmi nous. Mais, par sa conformation, le criminel ressemble à tout le monde ; il ne porte son crime écrit sur son front que quand il l’a commis ; et la science, dont on se réclame, nous prouve, comme l’expérience, que, s’il diffère des autres hommes, c’est uniquement par

  1. F. Alcan, éditeur.