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Il découle de là de nombreuses conséquences : les unes, relatives à la part qu’une société quelconque a toujours dans les crimes qui se commettent parmi elle ; et les autres, à la manière dont il convient de traiter le crime. Si, par exemple, depuis quelques années déjà, les crimes dits « passionnels » se sont étrangement et dangereusement multipliés parmi nous, la cause n’en est-elle pas surtout dans l’indulgence avec laquelle on les traite, non moins dangereuse et non moins étrange qu’eux-mêmes ? Or, si vous cherchez à son tour la raison de cette indulgence, où la trouverez-vous, sinon dans cette idée confusément et universellement répandue que la violence de la passion lui crée pour ainsi dire des droits à s’assouvir ; qu’elle aliène en quelque sorte le criminel de lui-même ; et qu’en l’aliénant de lui-même elle l’enlève à la responsabilité de son crime. Mais c’est le contraire qui est vrai. A mesure que nous nous abandonnons à la force de nos passions, c’est notre moi que nous laissons se développer dans le sens de ses pires instincts ; c’est l’égoïsme dans ce qu’il a de plus antisocial qui renverse les barrières qu’on lui avait opposées ; c’est la responsabilité, morale et pénale à la fois, qui s’aggrave donc au lieu de s’atténuer. « On a dit que notre corps est un peu d’air condensé, vivant dans l’air. Ne pourrait-on pas dire que notre âme est un peu de société incarnée, vivant en société ? Née par elle, elle vit pour elle… et sa responsabilité criminelle ne saurait être plus méconnue que sa responsabilité civile. » S’il y a des criminels d’habitude, qui le seront toujours sans doute, quoi que l’on fasse, — et encore pour des raisons déjà sociales, tirées plutôt de l’hérédité professionnelle ou de la misère physiologique et morale que de la nature, — il y en a, comme la plupart des criminels d’occasion, qui ne le sont qu’avec la sourde complicité de la société même ; et l’on peut espérer, on peut même affirmer qu’il ne dépend que de la société d’en diminuer sensiblement le nombre. Autant d’ailleurs qu’aux lois, c’est affaire à chacun de nous : et, comme le demande M. Tarde, c’est à quoi nous réussirions si, moins accessibles aux suggestions d’une sentimentalité souvent puérile, nous considérions moins le criminel que le crime, et dans le crime lui-même sa gravité sociale plutôt que les circonstances.

Quant à la manière de traiter le crime, et quant « aux réformes législatives ou pénitentiaires » que propose en terminant M. Tarde, c’est ici que nous ne saurions le suivre, et que nous laissons à de plus compétens que nous le soin de les discuter. Bornons-nous donc à dire qu’il nous a semblé qu’elles reposaient toutes sur cette constatation, dont les criminalistes tombent aujourd’hui d’accord, que, s’il n’y a pas de « type criminel, » il se pourrait qu’il y eût un « type pénitentiaire. » M. Tarde veut dire par là que beaucoup de criminels, s’ils ont commencé par être « l’œuvre de leur crime, » sont dans une certaine mesure, selon