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C’était un gentil garçon, très moderne d’aspect, élégant selon la dernière formule, mais qui savait garder sa personnalité sous la livrée changeante de la mode. Blond, avec des traits fins, le nez en l’air et la moustache frisée, il ressemblait vaguement à certain diseur de monologues, spirituel et fameux. Cette ressemblance avait même déterminé en lui une vocation, fort appréciée dans son entourage, d’acteur ou plutôt de chanteur comique. Il s’était adonné, de bonne heure, à la chansonnette, respectant le domaine de celui dont on le prétendait le sosie. Et, ayant brillamment réussi, à Paris même, dans une foule de salons, il n’avait pas voulu d’autre carrière, — ce qui l’avait induit à manger beaucoup d’argent, pendant ses longs loisirs. — Son père, ancien procureur général, qui, après s’être marié selon ses ambitions à Nancy, s’y était retiré, vivait grandement, comme il sied à un riche bourgeois, jadis investi d’une haute magistrature et dont le mariage a triplé la fortune sans nuire à son rang ; mais il n’entendait pas raillerie sur les fredaines de jeunesse. Aussi avait-il bientôt coupé les vivres au prodigue, le rappelant à Nancy et lui interdisant d’en sortir autrement que par le mariage, — à moins que ce ne fût pour résider aux champs, — sous peine d’une condamnation au travail forcé.

Le fringant Edgar s’était soumis ; mais, pour charmer l’ennui de son exil, il était devenu amoureux fou (il n’eût pu l’être autrement) de Marie-Madeleine. Par malheur, M. Lecourtois père ne goûtait qu’à demi cette diversion, à cause des embarras d’argent et de la situation commercialement suspecte ou du moins fort compromise de M. Hart. Connaissant le baron de Buttencourt, dont son père était le voisin de campagne, Edgar s’était fait inviter à Rubécourt, et d’autant plus facilement que le baron , mis dans la confidence avec sa femme, paraissait disposé à appuyer les prétentions du jeune homme, qui, sans se déclarer en termes explicites à Marie-Madeleine, ne lui laissait rien ignorer de sa passion et n’en laissait rien ignorer à personne.

— Je vois que vous admirez en connaisseur, dit Frantz en raillant avec un peu d’amertume.

— Je fais mieux que d’admirer, reprit Edgar bravement. Je suis épris, amoureux,., pincé jusqu’à l’âme, s’il faut être sincère. Mon Dieu, cela ne m’empêche pas de dire des sottises; cela peut même contribuer à m’en faire dire; mais cela me permettra, je l’espère, d’en effacer un jour le souvenir : je ne demande qu’à réparer, moi.

Il regarda son interlocuteur avec franchise , ayant l’air de lui dire : « Voilà ma profession de foi. A votre tour. Car je vous ai deviné : l’homme grave et l’écervelé pourraient se donner la main... si l’usage n’était pas de se la refuser entre rivaux. »