Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/27

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HALLALI ! 21 gliers, et ce qu’on appelait autrefois les bêtes rousses, c’est-à-dire les loups et les renards, sont plus abondantes que les bêtes fauves proprement dites... Tenez, le bouton de l’équipage, le bouton de l’habit que vous portez en fait foi. Qu’y voyez-vous? Un couteau de chasse, entouré d’un ceinturon sur lequel on lit la devise : Plus de fer que de plomb. — Ce qui signifie? demanda la jeune fille. Car je n’ai pas encore songé à m’enquérir du sens exact de la devise de l’équipage de Rubécourt. — Ce qui signifie : « Plutôt au couteau qu’à la carabine. » Or, cette devise serait presque un non-sens si l’équipage chassait cerf ou chevreuil plus souvent que loup ou sanglier. Car il n’y a guère que les gâcheurs d’ouvrage pour servir habituellement les bêtes fauves à la carabine. — Ah! oui, fit Marie-Madeleine ironique et rêveuse, le couteau a plus de charmes, je le conçois. Avec lui on tue de plus près : on sent mourir la bête... Quelle horreur! Et dire que, tous, vous êtes ainsi! — Vous ne nous calomniez qu’à moitié, mais vous nous calom- niez, ou du moins vous calomniez M. de Buttencourt... et moi, qui, sur ce point, pense et sens comme lui. Si nous préférons l’usage du couteau à celui de la carabine, même lorsqu’il s’agit de servir une bête dangereuse, c’est que nous aimons à racheter, par un demi-courage, une demi-lâcheté... Mais, écoutez: encore un hourvari ! C’est bien un chevreuil. Ces retours successifs, après une heure de chasse, ce sont les ruses ordinaires de l’animal... Je parierais même que c’est une chevrette qu’on poursuit; car la femelle, plus encore que le mâle, aime à brouiller les voies, à revenir en arrière, à reprendre sa double voie, comme nous disons. — Pauvre bête! dit la jeune fille. Je suis bien aise de ne pas être avec ses bourreaux ! — Et moi qui croyais que vous aimiez la chasse à courre ! — Je vous ai dit que non. J’aime à monter à cheval, à galoper en foi et. Le reste, je le fais pour plaire à ma cousine et à son mari. — Vous tenez donc à lui plaire, à lui aussi? — Je tiens à ne pas lui déplaire, répliqua brièvement la jeune fille. M. Frantz Real scruta de son regard profond le regard perdu de son interlocutrice. Mais les cris des chiens éclatèrent soudain, plus stridens et mêlés à une fanfare qui sonnait la vue. Et le jeune homme, conquis par ce tapage aimé, ouvrit la fenêtre, quoique l’on ne vît rien passer au loin, derrière les arbres.