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les peuples, sur l’inefficacité des connaissances primaires, sur la toute-puissance de l’hérédité, sur la prévalence des sentimens par rapport aux idées abstraites. La pédagogie de M. Spencer est ainsi en lutte avec elle-même et s’acharne à poursuivre un but dont elle a démontré l’insuffisance. De plus, il confond l’évolution intérieure de l’homme avec les objets extérieurs dont la connaissance influe sur elle, mais ne suffit pas à la produire : l’homme est absorbé dans la nature, il n’y a vraiment plus « d’humanités. »


II

M. Spencer ne pourrait plus, aujourd’hui, comparer la science à Cendrillon, les lettres à ses sœurs aussi orgueilleuses que frivoles ; il semble bien que l’orgueil ait passé du côté de la science. Notre Université même s’est laissé envahir par les diverses sciences et leur a fait à chacune une très large part dans les programmes de 1885. On est unanime à reconnaître aujourd’hui que cet enseignement scientifique, loin de relever le niveau des études, n’a fait que l’abaisser. Malgré cela, les sciences positives exercent encore sur l’enseignement, grâce à toutes les écoles de l’État auxquelles elles ouvrent l’accès, une autorité si tyrannique, qu’il importe de ramener leur vertu éducative à sa véritable valeur.

Les sciences nous donnent des modèles de ce qu’est la vérité ; elles nous habituent à discerner l’évidence ; elles nous fournissent la méthode, qu’on a appelée la vertu de l’intelligence. Mais, si elles ont leurs avantages, elles ont aussi, quand on les réduit à elles-mêmes, de graves inconvéniens, qu’oublient ceux qui veulent en faire la base de l’éducation.

Pour justifier l’importance croissante qu’on lui attribue, l’enseignement élémentaire des sciences doit éviter trois écueils ; il ne doit être ni trop matériel, ni trop utilitaire, ni trop spécial. Vous habituez l’enfant, dites-vous, à « observer ; » mais quoi ? Des objets matériels, qu’il tourne et retourne, démonte, brise au besoin pour en connaître la structure et les propriétés : c’est la tige de chanvre ou de lin, c’est le blé, c’est la fleur, c’est le morceau de craie ou de quartz, c’est la plume dont il se sert, le pinceau, tous les objets usuels qui l’entourent. Ainsi il s’accoutume à ne croire que ce qu’il a constaté par les yeux. Ce développement de l’esprit positif est utile dans le domaine des sciences de la nature, mais il n’est pas sans danger ailleurs et a besoin d’un correctif. Vous répétez aussi à l’enfant que tout mot doit, par sa définition scientifique, désigner une chose absolument précise, représentable et, en dernière analyse, sensible : excellente habitude en