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c’est l’art de ne voir qu’un des côtés de la question. Dans les sciences mathématiques, nous faisons nous-mêmes nos définitions, dans la réalité, c’est l’expérience qui nous les impose et, sans cesse, les transforme, les corrige par des déterminations nouvelles. Nous trouvons toujours dans les résultats plus que nous n’avions mis dans nos définitions et nos principes. Nous avions dit : deux et deux font quatre, et nous trouvons cinq ; nos étroites formules sont débordées par la nature et par la vie.

— Mais les sciences physiques ? dira-t-on. Elles vont nous enlever au monde des formes ; elles vont donner à l’esprit des jeunes gens ce fond qui lui manque ; elles vont l’habituer à observer, à expérimenter, à induire. Illusion d’optique, déjà signalée par plus d’un philosophe, depuis Herbert jusqu’à Guyau. On se figure que l’enseignement des sciences ex professo, tel qu’on le donne dans les classes de nos collèges, développe les mêmes qualités d’esprit qui furent nécessaires aux grands savans pour constituer et faire avancer les sciences ; mais l’enseignement des sciences, même physiques et naturelles, développe surtout la mémoire et le raisonnement déductif, fort peu le raisonnement inductif, l’esprit de spéculation et d’hypothèse, qui sont précisément les grands ressorts de toute découverte. Rappelez-vous la série de tâtonnemens, d’essais, de suppositions au bout de laquelle Pascal a pu formuler la loi de la pesanteur de l’air ; — série dont le commencement remonte à Galilée, à Torricelli. Que peut faire aujourd’hui, dans une école ou dans un collège, le maître de physique ? Des inductions ? des observations ? des hypothèses ? Pas le moins du monde ; il ne fait point parcourir de nouveau la série inductive à ses élèves. Il prend la marche inverse ; il expose dogmatiquement la théorie de la pesanteur de l’air, en déduit les principales conséquences, enfin donne de nouvelles déductions à faire sous forme de problèmes. Chez les élèves, rien ne passe de l’esprit des Torricelli, des Galilée et des Pascal. On leur dit : l’air est pesant, cela est démontré ; la terre tourne, cela est démontré. Encore, par extraordinaire, à propos de ces deux importantes questions, on leur raconte un peu d’histoire. Ce peu vaut, à lui seul, la théorie enseignée, parce qu’il est un bon exemple des vertus intellectuelles qui amènent les découvertes. L’enseignement des sciences ex cathedra et la science même, ce sont choses si différentes que l’une est presque l’opposé de l’autre, comme l’actif est l’opposé du passif et l’invention de la mémoire.

Voyons d’ailleurs à l’œuvre cette gymnastique intellectuelle que les jeunes gens, selon MM. Spencer, Bain, Huxley et leurs disciples de France, devraient à l’enseignement des sciences positives.