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véritable éducation scientifique en cherchant leur critérium dans la quantité des connaissances plutôt que dans leur qualité. « Il ne faut point juger des hommes, a dit Vauvenargues, par ce qu’ils ignorent, mais par ce qu’ils savent, et par la manière dont ils le savent. » Savons-nous la minéralogie ? savons-nous l’histoire d’Assyrie ? savons-nous la géographie du Thibet ? savons-nous le sanscrit ? savons-nous l’hébreu ? .. La raison qu’on met en avant pour justifier ces longs programmes, ce n’est point que toutes ces connaissances soient nécessaires, mais c’est qu’il faut, dit-on, multiplier les exigences pour faire la sélection des esprits les plus capables et pour éliminer les autres. — Or, précisément, les longs programmes ne s’adressent qu’à la mémoire et ne prouvent rien relativement aux vraies capacités. Se peut-il rien voir de plus illogique, pour ne pas dire de plus immoral, que de remplacer par un mécanisme de loterie l’appréciation du mérite solide et des bonnes études ? Si vous voulez une sélection, parce que vous avez trop de candidats, le moyen est simple : exigez, en même temps qu’un baccalauréat ès sciences ramené à de justes proportions et surtout mathématique, le baccalauréat ès lettres. Vous aurez des candidats qui sauront moins de détails en chimie et en physique, mais qui, à coup sûr, vous feront un jour plus d’honneur que des bacheliers sans culture. Dans les grandes écoles comme ailleurs, mieux vaut « des têtes bien faites que des têtes bien pleines. »


En résumé, l’enseignement des sciences doit être organisé en vue de la culture générale et de manière à former pour sa part un véritable système d’humanités. En même temps, il doit assurer la sélection des capacités scientifiques et préparer ainsi à la nation l’élite d’hommes de science dont elle a besoin. Pour atteindre ce double but, ce n’est point la quantité des connaissances qu’il faut considérer, et c’est l’erreur qu’ont commise les rédacteurs de programmes, soit pour les lycées et le baccalauréat, soit pour les écoles du gouvernement. La qualité du savoir, la méthode, enfin l’organisation des connaissances, voilà ce qui importe. La qualité du savoir consiste à être rationnel au lieu d’être mécanique et purement mnémonique ; la méthode doit être active et philosophique ; l’organisation doit aboutir à une philosophie de la nature et à une philosophie des mœurs. M. Vogt raconte une légende au sujet de l’horloge de Strasbourg. Le conseil, dans la crainte que le grand constructeur de ce chef-d’œuvre n’en fit un plus admirable pour une autre cité, décida de faire crever les yeux au maître. Celui-ci demanda comme dernière grâce de voir et de toucher son horloge une dernière fois.