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humain, le rôle que la pensée y joue ; la beauté corporelle et ses rapports avec l’âme, la physionomie ; le beau et la grâce en général ; le goût, l’idéal de la beauté pour l’individu ; l’œuvre d’art ; comment naît et se communique l’amour.

« L’homme est né pour penser. » — « Qui doute… si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer ? » — « L’homme est né pour le plaisir ; il le sent, il n’en faut point d’autres preuves. »

Ainsi, penser, aimer, prendre du plaisir, telle est, selon Pascal, la triple fin de la vie humaine. S’y conformer, c’est donc « suivre la raison » comme c’est faire son bonheur. Voilà la passion légitimée au même titre que l’effort intellectuel, excusée d’ailleurs par son essence même : « elle ne peut pas être sans excès ; de là vient qu’on ne se soucie plus de ce que dit le monde, que l’on sait déjà ne devoir pas condamner notre conduite, puisqu’elle vient de la raison. »

Ces trois élémens du bonheur de l’homme sont liés entre eux. D’une part, en effet, l’exercice « uni » et tendu de la « pensée pure » ne suffit pas à le contenter, « il est nécessaire qu’il soit quelquefois agité de passion, dont il sent dans son cœur des sources si vives et si profondes. » D’autre part, si l’amour était « aveugle » comme le font « les poètes, » si l’on en pouvait exclure l’intelligence, « nous serions des machines très désagréables. » L’amour applique donc à son objet la pensée. Il l’y applique d’une façon qui lui est propre, d’une façon partiale et « précipitée ; » il n’en est pas moins intellectuel et affectif indivisément ; au fond « l’amour et la raison n’est qu’une même chose. » Enfin, le plaisir qui ne doit rien ni à l’esprit ni au cœur, la simple sensation agréable, n’est pas celui que vise ici Pascal. Il distingue, en effet, le plaisir vrai du plaisir faux ; l’un ou l’autre « peut remplir également l’esprit, car qu’importe que ce plaisir soit faux, pourvu qu’on soit persuadé qu’il est vrai ? » Il est évident que cette distinction est inapplicable à la volupté et qu’elle convient seulement à la joie. Il n’y a pas joie sans jugement qui la détermine, lequel peut être vrai ou faux. Pascal remarque que la joie dépend, non de la vérité du jugement, mais de la foi qu’on y accorde.

Bien que solidaires, les trois élémens du bonheur : pensée, amour, plaisir, ne coexistent pas toujours. Ils ne se rencontrent simultanément que chez les âmes médiocres, et alors sans plénitude, car ces âmes-là a sont machines partout. » Une âme supérieure, au contraire, ne peut pas satisfaire à la fois les deux passions qui se la partagent, « l’amour et l’ambition » (cette ambition, qui est la pensée et l’action se proposant les plus vastes et les plus hauts objets). Ces deux passions, en effet, sont incompatibles, même