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sujets traités sous diverses rubriques telles que : les effets de l’amour, la fidélité, etc. Mais c’est un classement qui se fait de lui-même et n’offre d’ailleurs aucun intérêt doctrinal.

Il serait plus intéressant de grouper ces fragmens dans un ordre historique, c’est-à-dire dans l’ordre naturel où naissent, progressent et se succèdent les émotions diverses que Pascal amoureux reconnaît au fond de son propre cœur et dont il analyse chacune séparément sans se préoccuper du lien qui les enchaîne. Ce serait faire l’histoire psychologique de la passion qui l’occupait alors et dont l’objet comme le roman nous demeurent inconnus. Cet amour est d’une qualité curieuse : il est à la fois fier et piteux. Le génie du penseur s’y sent embarrassé, engagé dans une entreprise qui n’est pas toute de son ressort, où la grâce a le pas sur l’autorité, où le charme prévaut sur le mérite. Les gens de cour y réussissent mieux que les hommes de cabinet ; Pascal en trahit quelque dépit… « C’est de là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l’amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l’uniformité n’a rien qui frappe ; la vie de tempête surprend, frappe et pénètre. » Il se pourrait toutefois qu’il y eût plus de réelle tempête dans les mouvemens contenus d’une âme supérieure, mais discrète, que dans les démonstrations superficielles des âmes médiocres. Aussi Pascal prend-il sa revanche dans ce fragment déjà cité : « Les grandes âmes ne sont pas celles qui aiment le plus souvent… Mais quand elles commencent à aimer, elles aiment beaucoup mieux. » Son naïf idéal d’amour triomphe même plus qu’il ne le croit dans ces salons mêmes où il l’égaré. La candeur, le timide respect, qu’apporte à la conquête d’un cœur un cœur tremblant, loin d’y être méconnus, y servent de modèles, inimitables d’ailleurs, aux manèges de la galanterie élégante et de la coquetterie, aux combats simulés des précieuses avec leurs servans. Pour donner le ton au langage et le pli aux manières de l’amour qu’il affinait, l’hôtel de Rambouillet n’avait-il pas dû les apprendre de la nature, même quand il en vint à les outrer ? L’affectation est, au fond, un hommage à la nature, elle ne l’altère qu’en l’exagérant. Ce qui était culte, délicatesse, réserve dans les procédés de Pascal, avait fini par n’être plus, dans ceux des grands autour de lui, que fade servage, mièvrerie, feints scrupules, mais n’en était pas moins la contrefaçon des égards, des empressemens et des alarmes propres au noble amour. Le pays de Tendre, avec son fleuve glissant, ses contre-allées, ses détours, ses ombreuses cachettes, n’offrait que des pentes, des barrières et des surprises artificielles ; la carte n’en était pourtant pas arbitrairement dressée. La véritable tendresse, seule facile à effaroucher, à ramener, à entraîner, seule