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la raison, et l’incertitude à cet égard engendre une « défiance « continuelle. On a peur de se trahir, parce que « l’on se persuade qu’on découvrirait la passion d’un autre. » — « Le plaisir d’aimer sans l’oser dire a ses peines, mais aussi il a des douceurs. » L’on jouit du désintéressement de son culte ; on jouit de l’avoir si bien placé. Avant tout engagement, Pascal est déjà fidèle ; la fidélité n’a pas, à ses yeux, le serment pour condition : « L’on adore souvent ce qui ne croit pas être adoré et l’on ne laisse pas de lui garder une fidélité inviolable, quoiqu’il n’en sache rien. Mais il faut que l’amour soit bien fin et bien pur. » — « L’égarement à aimer en divers endroits est aussi monstrueux que l’injustice dans l’esprit. » C’est l’illogisme du cœur ; Pascal ne conçoit pas qu’on puisse se dire amoureux quand on ne se donne pas exclusivement à qui l’on aime. Remarquons toutefois que cette sévérité ne concerne pas les femmes, car il dit ailleurs : « Ne semble-t-il pas qu’autant de fois qu’une femme sort d’elle-même pour se caractériser dans le cœur des autres, elle fait une place vide pour les autres dans le sien ? Cependant, j’en connais qui disent que cela n’est pas vrai. Oserait-on appeler cela injustice ? Il est naturel de rendre autant qu’on a pris. » Ainsi le cœur d’une femme serait débiteur envers notre sexe autant de fois qu’elle est aimée. C’est peut-être pousser bien loin l’esprit d’équité. Mais ne tranchons pas cette question délicate et revenons à l’amour exclusif auquel se tient Pascal. Il est si scrupuleux sur le chapitre de la fidélité qu’il déplore la détente imposée par la nature à la pensée attachée au même objet : « Ce n’est pas commettre une infidélité, car l’on n’en aime pas d’autre ; c’est reprendre des forces pour mieux aimer ; cela se fait sans que l’on y pense… Il faut pourtant avouer que c’est une misérable suite de la nature humaine. » Dans cette première phase de l’amour, « l’on s’étudie tous les jours pour trouver les moyens de se découvrir. » On y passe autant de temps que si l’on devait se déclarer ; mais, bien qu’on voulût avoir cent langues « pour le faire, on se réduit, par timidité, » à l’éloquence de l’action. Jusque-là on n’a que de la joie ; cette occupation continuelle de la pensée entretient le feu du cœur. Cependant, l’esprit ne « peut pas durer longtemps » dans cet état. L’amour exige deux acteurs ; s’il n’y en a qu’un, « il est difficile qu’il n’épuise bientôt tous les mouvemens dont il est agité. » — « Cette plénitude quelquefois diminue, et, ne recevant point de secours du côté de la source, » livre le cœur en proie aux « passions ennemies » qui le « déchirent en mille morceaux. » — « L’on décline misérablement. » — « Quoique les maux se succèdent ainsi les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaiter la présence de sa maîtresse par l’espérance de moins souffrir ; cependant, quand