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remonter à ses origines, il a suffi à la duchesse de nommer son ancêtre le plus immédiat, William Cavendish, son grand-père, qui fut conseiller privé et trésorier de la chambre royale sous les trois règnes d’Henri VIII, d’Edouard VI et de Marie. Une circonstance de la vie de ce grand-père mérite d’être mentionnée comme ayant exercé une influence très particulière sur la destinée de Newcastle. Étant déjà quelque peu avancé en âge, il épousa par amour une jeune et belle veuve, Elisabeth Hardwicke, qui, ayant pris sur ce mari trop mûr l’ascendant que donnent facilement la jeunesse et la beauté, le décida à quitter son natif Devonshire, où il avait ses immenses domaines, pour aller s’établir dans le Derbyshire, dont elle était originaire. Par cette obéissance aux désirs de sa femme, il se trouva qu’il avait préparé le théâtre futur de l’action militaire de son petit-fils. Le détail est à retenir, car la manière dont Newcastle recruta les premières armées royalistes et conduisit la première guerre civile ne s’explique réellement que par ce théâtre des régions du nord, où il était tellement chez lui qu’on peut dire qu’il y faisait la guerre à domicile.

« L’enfant est le père de l’homme ; » c’est une parole souvent citée du poète Wordsworth, dont une anecdote de la jeunesse de Newcastle prouve la profonde vérité de la manière la plus amusante. Lorsqu’il était encore à l’université de Cambridge, un de ses jeunes parens, ayant fait quelques économies, les employa à s’acheter de la terre, tandis que, dans le même temps, le jeune Cavendish employait son argent de poche à s’acheter un cheval du prix de 50 livres, un chien du prix de 12 livres et un petit chanteur (sans doute un castrat) du prix de 50 livres. Le moderne éditeur de la Vie de Newcastle, quelque peu embarrassé de l’anecdote, insinue dans une note que les jours du feudalisme étant déjà passés, c’était le talent du chanteur plutôt que sa personne qui avait été acheté. Tout ce que nous oserions affirmer, c’est que le servage, sous un si jeune et si aimable maître, ne pouvait rien être de bien dur ; mais quant au fait de l’achat même, nous ne voyons pas de bonne raison pour le révoquer en doute. Est-il bien sûr que toute possession de l’homme par l’homme eût complètement disparu à l’époque de la jeunesse de Newcastle ? Elle persistait certainement sous des formes assez diverses, par souvenir des temps antérieurs, par fantaisie, par cupidité, par vice. Bandello, pour prendre un exemple, ne nous a-t-il pas appris ce qu’il advenait fréquemment, après le sac des villes d’Italie, de tel enfant enlevé au milieu du désordre ou ramassé parmi les ruines. De tels êtres de plaisir et de luxe n’entraient-ils pas, d’ailleurs, dans les somptuosités de la grande vie d’autrefois ? L’époque où le jeune Cavendish achetait son petit chanteur est à peu près celle où son futur protégé, Ben