Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bain son fils aîné Henri (lequel, par parenthèse, fut réellement aimé des dieux, puisqu’il mourut prématurément, cédant ainsi à son frère Charles la lugubre fortune que la vie lui aurait faite inévitablement), il jugea l’occasion favorable pour conférer la même dignité au jeune Cavendish, qui n’avait encore que quinze ou seize ans, exemple probablement unique, nous dit l’éditeur récent de son histoire, d’un tel titre accordé dans un âge si tendre. Cette faveur en promettait d’autres ; elles ne manquèrent pas, et Jacques eut le temps, avant de mourir, de le créer vicomte de Mansfield et baron de Bolsover. C’était peu de chose en comparaison de ce que lui réservait le règne de Charles Ier. La générosité du roi, presque implacable dans sa munificence, fit pleuvoir sur lui en quelques années, jusqu’à l’en accabler, titres, places et dignités. En 1633, lors de la première réception qu’il lit à Charles, on le voit baron de Bothel et Hepple, comte de Newcastle, lord lieutenant du Nottinghamshire et du Derbyshire, lord gardien de la forêt de Sherwood, gouverneur du prince de Galles, membre du conseil privé de Sa Majesté. Ces titres et dignités étaient soutenus par d’énormes richesses que la déesse Fortune, aussi implacable que le roi Charles dans sa générosité, s’était plu à accroître par tous les moyens. Sa grand’mère, devenue veuve, avait épousé en troisièmes noces un Saint-Loo, tout exprès, dirait-on, pour en hériter de vastes domaines dans le Staffordshire, qui passèrent à son petit-fils. Sa tante, la comtesse de Shrewsbury, mourut juste à point pour laisser sa mère seule héritière de la baronnie d’Ogle. Sa première femme, Elisabeth Basset de Blore, veuve d’un Howard, mourut en le faisant héritier d’une fortune d’environ 90,000 livres de rente. D’après les calculs de la duchesse, qui déclare ne pas bien savoir le chiffre exact des richesses qui étaient arrivées au duc par les voies indirectes que nous venons de dire, les rentes de ses seules propriétés territoriales s’élevaient, à l’époque où commença la guerre civile, au chiffre rond de 575,000 francs. Comme il faut ajouter à cette somme les revenus provenant de ses capitaux ou usufruits, et les émolumens de ses diverses places, on peut calculer que Newcastle devait jouir à peu près d’un million de rentes, ce qui représente environ cinq ou six millions d’aujourd’hui. Un joli denier, n’est-il pas vrai ? Cependant ne vous hâtez pas de vous récrier ; tout est relatif, cette fortune n’est, après tout, que l’équivalent de celles de nombre de ses égaux d’aujourd’hui en Angleterre, et c’est presque l’indigence et le dénûment si on la compare aux fortunes des riches contemporains de la démocratique Amérique.

Il fut digne de ce bonheur. Il eut l’âme libérale et les goûts magnifiques. Un poète du temps, son protégé, Ben Jonson, par exemple,