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intérêts de la nation, il répondait que, dans une monarchie, le roi étant l’incarnation même de la nation, être du côté du roi c’était être en même temps pour la société générale. Les traîtres véritables c’étaient les chefs des rebelles qui poursuivaient des vues partielles et servaient des intérêts qui se détachaient de l’ensemble social et ne se réclamaient pas de l’universalité. Aucun alliage aristocratique choquant ne se mêlait à cette foi monarchique. Ce roi, incarnation souveraine de la nation, Newcastle le voulait entouré d’une noblesse riche, mais puissante, et aussi peu nombreuse que possible, car, disait-il avec profondeur, les noblesses pauvres sont portées à être factieuses, et les noblesses nombreuses sont un fardeau pour une société. Le roi, étant l’incarnation de la nation, doit être le chef absolu et unique de l’armée, car sans cette condition « le prince ne règne que par la courtoisie des autres. » Il importe tant qu’il soit seul armé, qu’on peut dire que « les grands princes sont à moitié armés lorsque leurs sujets ne le sont pas. » Newcastle va plus loin encore, il voudrait que les armées fussent la propriété propre des princes, et pour cela qu’elles fussent payées non pas par les subsides levés à cet effet sur la nation, mais directement par le roi même et avec l’argent de son propre trésor privé, de manière qu’elles lui fussent entièrement dévouées, « car tous les hommes suivent la bourse. » Cet idéal de Newcastle a été réalisé un peu plus tard, autant que le leur ont permis leurs ressources, par les premiers souverains de Prusse.

Le prince réunissant les pouvoirs civils et militaires entre ses mains, voilà le gouvernement bien simplifié. Newcastle voudrait une société plus simple encore s’il est possible. Peu de lois, les lois nombreuses ne servent qu’à préparer des embûches au sujet, et cette condition sera facile à remplir puisque le prince réunit tous les pouvoirs civils. On voit que Newcastle avait peu de penchans pour les parlemens, dont la tendance générale est précisément de multiplier les lois ; il en avait encore moins pour les gens de justice de tout plumage. Il aurait voulu que le roi assistât de temps à autre aux séances des cours judiciaires, pour examiner par lui-même les causes de ses pauvres sujets et découvrir les fraudes ou corruptions des magistrats ; de même, il voudrait qu’il y eût une limite aux procès et qu’ils ne pussent être poussés au-delà d’un certain temps. Ce même dédain qu’il avait pour les gens de loi et les beaux esprits politiques, il le portait à peu près sur les gens d’église. Nous avons vu dans un chapitre précédent son horreur des controverses théologiques. « Au fond, disait-il nettement, ce ne sont pas tant les lois, la religion et la rhétorique qui maintiennent un royaume en bon ordre, que les armes. » Les professions libérales en général ne lui inspiraient