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toujours nécessairement considérable, car, lorsque leurs espoirs de récompenses seront déçus, ils deviendront plus factieux et opposans plus invétérés qu’ils ne l’étaient d’abord. La meilleure politique pour un État ou un gouvernement est de récompenser ses amis, de punir ses ennemis et de préférer les honnêtes aux factieux ; alors tous seront des amis réels et rendront d’honnêtes services, soit par pur amour et pure loyauté, soit par l’espoir d’avancer, quand ils verront qu’il n’y en a d’autre moyen que de servir l’État.


Cette opinion, très probablement exprimée par dépit et aversion de la politique de Charles II envers nombre d’hommes plus ou moins compromis dans les troubles passés, dit ses lacunes par cette origine même. Parfaitement fondée lorsque l’État est en bonne paix ou qu’il est dans une situation de péril ou de combat, elle est en revanche très impolitique après une période orageuse et lorsqu’il s’agit de pacifier. Charles Ier eut peut-être tort de chercher un moment à gagner Pym et Hampden, mais certainement Charles II agissait avec prudence en cherchant à se concilier ceux de ses adversaires de la veille qui ne s’étaient pas d’avance fermé l’accès à sa faveur en se compromettant jusqu’au crime.

Sur ce sujet des récompenses dues aux services rendus à l’État, Newcastle était presque intransigeant. Un de ses sourds griefs contre Charles II était l’abandon dans lequel, après sa restauration, il avait laissé les vétérans de la guerre civile. Il avait plus d’une fois réparé cette ingratitude autant qu’il était en lui ; mais enfin, ne pouvant suffire à toutes les pétitions, il payait, faute d’argent, en mots amers et en sarcasmes voilés. La veuve d’un soldat, qu’il avait été obligé de refuser, lui disant que les ennemis de sa majesté étaient élevés à de grands honneurs, tandis que ses serviteurs dévoués étaient dans la pauvreté : « c’est une marque que votre mari et moi nous étions des hommes honnêtes, » lui répondit-il. Cette indignation s’est fait jour de la manière la plus significative dans une petite chanson qu’il écrivit pour une des comédies de la duchesse, et qui est trop curieuse pour ne pas être rapportée.


LE CHANT DES ÉMIGRANS.

Le capitaine. — Partons pour notre nouvelle plantation, — partons pour notre nouvelle plantation ; — nous pourrons espérer au moins que, dans ce bienheureux pays, nous n’aurons pas à redouter la corde et la potence.

Le lieutenant. — Partons pour notre nouvelle plantation, — partons pour notre nouvelle plantation, — puisqu’ici, dans cette très méchante nation, il n’y a pour le soldat ni considération ni récompense.