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Et les esprits de cet ordre sont d’ordinaire inconsistans, flottans, mal liés et d’une molle étreinte. Ils ont quelque chose d’hétérogène. L’étoffe en est faite de pièces et morceaux divers. Ils ont des opinions contraires, mal conciliées. Ils sont pour l’affirmative dans une certaine mesure, et pour la négative jusqu’à un certain point. Leur moyenne est un à-peu-près et leur modération une incertitude. Ou bien leur vie intellectuelle est une suite de variations, et ils compensent un pas de trop fait à gauche par un pas de trop fait à droite. — Le modéré, d’ordinaire, est un indécis qui, seulement parce qu’il est indécis, est modéré. Il déguise, s’il est médiocre ; il transforme, s’il est intelligent, une faiblesse de caractère en bonne tenue apparente de pensée.

Ce n’est pas du tout le cas de Guizot.

La modération de sa pensée s’unissait à une vigueur rude et impérieuse de caractère, ce qui fait qu’il apportait la certitude dans la modération. Certain, nul ne l’était plus que lui. Il était la certitude même. Il croyait en lui intrépidement, et franchement, et loyalement, loyauté infiniment rare en nos temps modernes. Personne ne pousse le scepticisme jusqu’au doute sur soi-même, et n’est sceptique à ce point de devenir modeste. Mais, d’autre part, presque personne ne pousse la certitude jusqu’à une manière d’immodestie. La loyauté absolue le voudrait pourtant, et c’est cette loyauté que Guizot osait avoir et ne marchandait pas à montrer. « Je déteste par-dessus tout, disait-il, l’hypocrisie et la subtilité. « Il détestait l’hypocrisie qui consiste à ne pas se donner hautement raison quand on est persuadé qu’on a raison, et cette subtilité qui consiste à se donner raison par des détours et à surprendre l’approbation, au lieu de la réclamer ou de la conquérir. Il était aussi loin que possible de cet état d’esprit. Il était capable, non-seulement de certitude, mais de foi. Une idée vraie, si de plus elle lui semblait de grande « importance pratique, » était pour lui et objet de certitude et matière de foi ; c’est-à-dire et qu’il y croyait et qu’il l’embrassait de toutes les ardeurs les plus intimes de son âme : « Une idée qui se présenterait à l’homme comme vraie, mais sans le frapper en même temps par l’étendue ou la gravité de ses conséquences, produirait la certitude ; la foi ne naîtrait pas. De même le mérite pratique, l’utilité d’une idée ne peut suffire à enfanter la foi ; il faut qu’elle attire aussi l’attention par la beauté pure de la vérité… La beauté intellectuelle et l’importance pratique, tels paraissent donc les caractères des idées propres à devenir matière de foi. »

Il était croyant jusqu’à ne pas détester d’être impopulaire, ce qui est le signe. Le goût de l’impopularité est le commencement du goût du martyre. Il a dit qu’il ne recherchait point l’impopularité,