Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce juste milieu philosophique et religieux est la conception la plus médiocre et en même temps la plus significative de toutes les conceptions de Guizot. Elle marque bien son peu de philosophie, ou plutôt son peu de souci de philosopher sérieusement ; son esprit pratique qui cherche surtout parmi les idées celle qui est la plus propre à être appliquée, à peu près, dès demain, et qui peut servir à quelque chose ; son goût d’organisation et de concentration, et son adresse à persuader aux hommes, pourvu qu’ils ne soient pas tout à fait des ennemis le couteau au poing, qu’ils sont faits pour s’entendre, à la condition de peu parler ; son goût en même temps de discipline, de règle et d’obéissance dans le rang ; son optimisme enfin, et cette conviction qu’il ne faut qu’un peu de bonne volonté pour que les plus grands désaccords intellectuels soient résolus, tout comme les plus grandes difficultés politiques ; ce sentiment, bien hasardé, qu’on peut traiter les difficultés d’ordre moral comme les obstacles matériels, par l’énergie, le bon vouloir et de bonnes règles d’action.

Il aurait voulu diriger les âmes, comme un parti, comme deux ou trois partis unis par un programme commun et obéissant à un chef habile. Il croyait, ou bien plutôt il aimait à croire, qu’un système n’est pas chose très différente d’un programme, alors que ce sont choses d’essence et de nature infiniment dissemblables. Il faisait ou voulait faire de catholiques, protestans, et philosophes spiritualistes, une coalition analogue à la coalition de 1838, composée de centre droit, centre gauche et gauche dynastique. Il croyait ou voulait croire qu’un mouvement religieux peut être une manœuvre. — Il était soutenu dans cette tentative, infiniment honorable et infiniment généreuse d’ailleurs, par cette idée, qui n’est à sa place qu’en politique, que la vérité est dans la moyenne, et que les solutions justes sont des moyens termes saisis par un esprit avisé. Il cherchait le juste milieu en choses de conscience. C’est ici qu’il n’y en a point, ou qu’il n’en est un, tout factice et artificiel, que dans une confusion où peut entrer beaucoup de bon vouloir, mais non beaucoup de sincérité.


II

Ses études historiques ont été tout entières inspirées, animées et dirigées par l’esprit de juste milieu. Le juste milieu en histoire, en choses de développement historique, ce sont les classes moyennes. Ce sont les classes moyennes qui doivent avoir raison, ce sont elles qui doivent avoir l’influence et la prépondérance dans une nation, ce sont elles, quand elles existent, qui font la stabilité, qui forment comme le lest d’un pays, c’est leur absence qui fait