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L’orgueil d’Éphraïm et des tribus du Nord y était sensible, mais ne s’exprimait pas d’une manière trop blessante pour Juda. L’histoire de Joseph, annonçant si clairement la supériorité des Joséphites sur leurs frères, cessait d’être choquante depuis que Joseph n’existait plus. Le Livre de l’Alliance, qui était la seule partie législative du vieux livre israélite, avait bien des préceptes dirigés contre le culte de Jérusalem ; mais rien de tout cela n’était une attaque directe. On pouvait entendre ces parties comme ne se rapportant qu’au temps du séjour au désert. L’erreur critique la plus grave serait de supposer qu’on eût alors quelque idée d’un texte sacré. On croyait qu’il y avait eu des révélations de Iahvé ; les principales étaient censées avoir été faites à Moïse au Sinaï ; mais aucun livre n’avait la prétention de représenter exclusivement ces révélations. Il n’y avait pas un volume qui fût la Thorat Iahvé uniquement et par excellence. On prenait cette révélation de toutes mains, et il est probable que la tradition orale était considérée comme une source bien préférable aux textes écrits.

On ne trouve de difficultés à une telle conception que quand on se figure les parties législatives de ces anciens livres, en particulier le Livre de l’Alliance, comme ayant eu force légale dès le moment où le livre était accepté. On s’imaginerait volontiers, par exemple, qu’Ezéchias, adoptant pleinement le iahvéisme, a dû mettre en vigueur les articles contenus dans le petit code qui en est le résumé. Il n’en fut rien sans doute. Plusieurs de ces articles étaient probablement de droit coutumier et mis en pratique comme tels ; mais, jamais avant Josias, ni même avant la captivité, l’état juif ne fut gouverné par une loi absolument théocratique et révélée. Ces codes constituaient des modèles de perfection, dont on espérait que l’État se rapprocherait un jour ; mais les ardens utopistes qui les écrivaient savaient bien que leur œuvre n’allait pas le lendemain s’imposer aux juges, ni créer des arrêts. Les idées s’arrangeraient à cet égard un peu comme chez les peuples chrétiens, lesquels, tout en admettant le Pentateuque comme un Code révélé, ont très rarement été tentés d’appliquer la législation du Pentateuque. Il a fallu la rigoureuse logique du protestantisme écossais pour arriver à viser, dans des considérans de jugemens exécutoires, des articles de l’Exode et du Deutéronome comme des articles ayant force de loi.

La meilleure preuve, du reste, qu’aucun texte n’avait encore la prétention de résumer les révélations de Iahvé, c’est qu’à côté du récit que nous appelons jéhoviste, on gardait le récit que nous appelons élohiste, produit d’une rédaction plus moderne. Ce livre