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classes moyennes. C’est pour cela que les peuples de l’antiquité tendaient au despotisme comme à leur fin naturelle. Les petites républiques grecques devaient s’absorber dans l’empire macédonien en très peu de temps, et tous les autres états étaient des monarchies despotiques. Quant à l’état romain, qui a si bien senti l’absence et la nécessité d’une classe moyenne qu’il en a créé une factice par l’institution des tribuns, chargés d’exprimer légalement l’opinion populaire et d’être les intermédiaires entre la foule et la classe dirigeante, ce n’en est pas moins par l’absence de classe moyenne, d’abord qu’il est tombé dans le despotisme impérial, plus tard qu’il a disparu. Vers la fin il a voulu, par l’institution des curiales, créer quelque chose encore comme une classe moyenne, assurer, dans chaque municipe, le concours de la bourgeoisie aisée et indépendante à l’administration locale. Mais, d’une part, il a disposé et surtout pratiqué cette institution dans un esprit qui était le moins libéral du monde, prenant de telles précautions, que les curiales n’avaient que des devoirs sans avoir de vrais droits, et en arrivaient à n’être que des fonctionnaires gratuits ; d’autre part, l’eût-il voulu, il ne pouvait pas créer une classe, une classe ne se créant point, ou plutôt se créant, et ne pouvant pas être créée. Ce qui manquait à l’empire romain, c’était justement la classe moyenne à l’état de classe, une classe moyenne étant un véritable corps organisé dans le vaste corps de l’État, étant quelque chose d’homogène, de lié, de vivant, qui se sent soi-même, qui prend et garde conscience de soi.

Une telle classe, il n’est pas commun qu’elle existe. Le peuple existe toujours, c’est tout le monde, c’est la foule. Il est, seulement, plus ou moins peuple et plus ou moins ioule, selon sa valeur morale, et prend dans l’État une place plus ou moins grande selon sa faculté plus ou moins forte de penser, d’exprimer sa pensée, d’avoir déjà une opinion. — La classe dirigeante existe toujours, ce sont les hommes qui ne sont pas forcés de travailler. Elle est seulement, plus ou moins dirigeante, selon qu’elle est plus ou moins soucieuse et du bien public et de sa propre dignité, et il arrive quelquefois, ce qui est un grand mal, qu’elle n’a que ses défauts, sans ses qualités, et qu’alors elle ne dirige presque plus : elle préside. — La classe moyenne, elle, peut ne pas exister. Pour qu’elle soit, il faut que la fortune se soit disséminée et dispersée, que la propriété se soit divisée, ou que la richesse mobilière se soit créée, ou que ces deux phénomènes sociaux se soient produits. — Plus encore qu’une diffusion des richesses, il faut une diffusion des lumières ; car une classe moyenne ignorante serait classe moyenne par sa fortune, et peuple par son état d’esprit, et ne ferait pas plus l’opinion, ce qui est son office, que le peuple ne peut la faire. Pour