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grave faute de conduite dans l’affaire de la « coalition » de 1838, il ne l’a jamais perdue de vue. Elle était double : maintenir la tradition, développer la « liberté » dans le sens que nous avons vu qu’il donnait à ce mot, c’est-à-dire donner de l’extension à la liberté politique. Cela faisait comme deux politiques à mener parallèlement, l’une de « résistance, » l’autre d’émancipation progressive, ou plutôt de coopération de plus en plus grande à donner aux citoyens dans les affaires publiques. La « résistance » était nécessaire. La « résistance » n’était autre chose que la politique conservatrice, essentielle toujours, devenant fatalement politique de résistance au lendemain (qui dure dix ans) d’une révolution, Alors que tous les élémens de transformation sont dans le pays en un état de bouillonnement et d’effervescence, et, pour que la tradition soit maintenue ou renouée, ont besoin d’être non-seulement contenus, mais réprimés. D’un coup d’œil très assuré, Guizot a vu, dès 1830, et surtout en 1830, que c’était là la première tâche, et la plus nécessaire, comme aussi la plus rude. Il a été, dès 1830, un premier Casimir Périer, un Casimir Périer avant la lettre. Il est vrai que j’aurai à dire que, dans la suite, il a été un Casimir Périer en retard.

Il n’a pas été moins dévoué à l’autre partie de sa mission, à sa politique de liberté. La liberté consistait pour lui, comme nous l’avons vu, à faire pénétrer dans les choses d’état une certaine mesure, et une mesure de plus en plus grande d’initiative privée, à ouvrir l’état trop fermé, et d’une ouverture de plus en plus large. C’est comme un système de ventilation et d’aération progressives. Il est excellent. Il est à la fois attentif à la tradition et réellement libéral. Il ne donne au citoyen une augmentation de liberté qu’avec une augmentation de responsabilité, ce qui est dire qu’il le contient en même temps qu’il l’émancipé, et par le mode même d’émancipation. Vingt fois Guizot a montré combien, de 1816 à 1848, le parti conservateur libéral, sans se hâter, mais sans reculer après avoir avancé, a suivi avec constance ce système : « Toutes les grandes institutions de la Révolution et de l’Empire,… quelque éloignées qu’elles aient été à leur origine des principes et des vœux de la liberté, peuvent les admettre… Oui, la liberté peut entrer dans toutes ces grandes machines créées par l’Empire pour la défense et la restauration du pouvoir… Est-ce qu’il y avait rien de plus spécialement institué pour le pouvoir que notre régime administratif, la Constitution de l’an VIII, l’administration préfectorale, les conseils de préfecture, le conseil d’État ? Eh bien ! nous avons fait entrer la liberté dans notre grand régime administratif. Les conseils généraux élus, les conseils municipaux élus, toutes ces