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attendu, est tourné en ridicule par les citadins en station à Kusatsu, qui saisissent cette occasion de rire aux dépens des inakappo (gens de la campagne).

Dans l’après-midi, le secrétaire, en compagnie de trois employés qui composent sa suite, traverse lentement et gravement les rues.

Le soir, explosion d’hilarité parmi les citadins. On se raconte que le secrétaire, nullement intimidé par les honneurs qui l’ont accueilli, a manifesté son mécontentement en ajoutant, avec beaucoup de sens, que ce ne sont ni les drapeaux ni les lanternes qui suppléent au mauvais état des chemins.

Le secrétaire est parti ce matin ; mais les événemens ne laissent pas à l’intérêt le temps de languir. C’est aujourd’hui qu’aura lieu l’éclipse de soleil dont il est tant question depuis quelques semaines. Elle sera totale pour Kusatsu et ses environs, Sawatari notamment. Deux ou trois Européens et une dame, arrivés ici de Tokio la veille et l’avant-veille, n’ont pas reculé devant un déplacement aussi considérable pour se récréer à la contemplation du phénomène astronomique. D’autres se sont installés à Sawatari, distant de 20 kilomètres seulement de Kusatsu, mais d’une altitude bien inférieure. Le choix de l’une ou l’autre de ces deux localités n’a pas été fait à la légère, car le temps est presque toujours couvert dans ces pays de montagnes, et chacun ne s’est décidé pour un emplacement qu’après s’être, autant que possible, renseigné sur les conditions climatologiques du lieu.

La représentation céleste commençant à trois heures, le repas de midi expédié, tout le public de Kusatsu s’installe sur les toits. Ces spectateurs, groupés sur le faîte des habitations, composent eux-mêmes un spectacle très original qui aura été une compensation en cas d’accident d’éclipsé, car les nuages s’interposent entre le soleil et les yeux avides de voir. Ce n’est pas l’amoncellement opaque, précurseur de la pluie, mais un rideau à demi transparent, une réunion de balayures dont les franges laissent même passer un peu de bleu. Cela peut s’épaissir en quelques instans suffisamment pour qu’on n’ait plus qu’à rentrer chez soi ; cela peut aussi s’effacer devant un souffle de vent. Et, selon l’expression d’Oronte :


— on désespère
Alors qu’on espère toujours.


L’occultation de l’astre du jour par l’astre des nuits est commencée et avance très, très lentement, imperceptiblement. L’état du ciel s’est plutôt empiré qu’amélioré. Ce n’est qu’à de longs