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pour se permettre la pratique de cette intelligente récréation. Au Japon, c’est la masse de la nation qui se livre à des pérégrinations dont le tour de France des anciens compagnons donnerait assez bien une idée. Chaque année, au printemps, commence dans le pays un mouvement comparable à celui d’endosmose et d’exosmose dont il est question dans les traités de physique. Les provinces du nord filtrent vers le sud et vice versa. Les paysans, hommes, femmes et enfans, tous porteurs du même uniforme d’excursionniste, la tête ombragée par un vaste chapeau en forme de corbeille, la main munie d’un bâton de pèlerin, le dos protégé par une natte souple qui sert alternativement de manteau, de tapis et au besoin de matelas, s’en vont par bandes nombreuses visiter les mei-syo (lieux célèbres) de l’empire. Ils acquièrent à cet exercice d’abord des jambes de marcheur incomparable et puis un petit bagage de notions encyclopédiques sur leur pays, qui se révèle inopinément au cours de la conversation avec l’étranger surpris d’entendre quelque pauvre vieille campagnarde lui parler avec détails et exactitude des curiosités des villes lointaines. Nulle part les traités géographiques, les cartes, les plans, les guides, ne sont aussi répandus et à aussi bon marché ; mais ces recueils se bornent tous à la description du Japon. L’étude du monde extérieur n’a pas encore bénéficié des mêmes moyens de vulgarisation.

Cinquante-quatre mille six cents ascensionnistes, dont dix mille femmes, ont escaladé le Fuzi-yama dans le trimestre d’été 1881. On sait que cette montagne est la plus élevée du Japon, et bien qu’elle n’offre ni les dangers ni les difficultés du Mont-Blanc, elle ne se laisse pas gravir aisément. Ce chiffre montre avec quelle passion les Japonais s’adonnent à l’exploration de leur pays.

Le principal rendez-vous de ces compagnies vagabondes est naturellement la capitale. Tokio voit tous les ans, à époque fixe, se renouveler le défilé bien connu des touristes provinciaux dont le passage est peu productif en dépit de leur nombre, car ils consomment en proportion de leurs ressources, lesquelles sont modiques. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles les habitans les gouaillent volontiers. Le dessinateur Yosi-tosi leur a consacré un jour deux caricatures : l’une représentait un couple antique arrivé de nuit à Tokio. Le vieux Philémon et sa compagne passaient devant les fenêtres brillamment éclairées de l’imprimerie du Nippo-sim-bun, un des grands journaux de la capitale, et jugeant à la splendeur de ce monument, construit à l’européenne, qu’ils se trouvaient en face du plus sacré des temples, se jetaient à genoux dans la poussière et récitaient dévotement leurs prières. La seconde image mettait en scène un paysan plus familiarisé, quoique