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propre expression de Richelieu, « à rendre le pays messin aussi assuré à la France que le comté de Champagne. »

Au contraire, la Lorraine, quoique indépendante, était, à l’égard de la France, dans une sorte de subordination. Les membres de la famille ducale vivaient dans l’orbite de la cour. Le duc était sans cesse dans les transes ou d’une alliance trop étroite, ou d’une rupture redoutable. Sa capitale, Nancy, prise entre tout et Metz, étouffait. La place forte de la Mothe était, à la moindre alerte, son plus sûr abri.

On entrait en France, de ce côté, par Mouzon et Bar-le-Duc. La Champagne, avec sa face blanche, donnait une pauvre idée du royaume : « C’est ici que l’on voit de vastes campagnes blanchissantes comme de la craie, dégarnies d’arbres, sans aucun pré ni eaux courantes, ce qui fait qu’on n’y trouve pas les vivres et commodités qu’il faudrait pour les voyageurs. » Pourtant les vins du pays étaient déjà renommés et les villes étaient belles : Troyes, avec sa riche vêture d’églises et de palais, et dont les cloches, sans cesse brimbalantes, étonnaient l’étranger ; Reims, « qui est grande, entourée de murailles fort blanches et dont les hautes tours se font voir de loin ; » Châlons, Vitry, Chaumont-en-Bassigny étaient les places fortes ou les villes importantes de cette frontière. Selon le proverbe fameux, les Champenois passaient pour peu avisés ; mais ils étaient soumis, fidèles, et payaient bien la taille : un « troupeau. »

En quittant la Champagne, on traversait la Brie, plus fertile, et, par les coteaux élégans qui bordent la Marne, on arrivait à Paris. Quoique Paris n’eût pas encore dévoré toute la France, il demandait un long séjour, et il faut lui réserver une description à part. Quand on l’avait visité avec soin, puis ses environs : Saint-Germain, Saint-Denis, Rueil que venait de faire construire le financier Moysset, et surtout Fontainebleau que l’on considérait « comme le plus beau château de France, Allemagne, Belgique, Angleterre et Italie, » on se hâtait vers les provinces dont l’air était plus doux et la langue plus pure.

On entrait dans la Beauce par la belle route pavée de Paris à Orléans : « Cette province, dit un voyageur, n’a ni montagnes, ni fleuves, ni forêts, ni vignes, très peu de prés et si peu d’eau que les habitans de Blois appellent leurs puits des sources. C’est à peine s’il y a des arbres et le peu qu’on en voit sont tout rachitiques à cause de la nature du sol. Mais c’est la contrée la plus féconde en froment. Aussi l’appelle-t-on le grenier de Paris. » Visible de partout, la cathédrale de Chartres surgissait, dominant de loin des guérets mornes ou les vagues d’un océan de moisson.

Hors la grand’route, les chemins étaient détestables : « En