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hasard, avec cet éternel décousu qui est l’ennemi des assemblées et des gouvernemens.

Heureusement encore que, même dans cette chambre si incohérente, il est des instans où les petits préjugés sont oubliés, où tout cède à un bon mouvement de raison et de patriotisme. C’est ce qui est arrivé récemment à l’occasion de la Tunisie et de son régime douanier. À dire vrai, de toutes les conquêtes coloniales qui ont été poursuivies depuis quelques années au nom de la France et qui n’ont pas eu une fortune égale, la Tunisie est restée toujours la moins contestée. Depuis que la France est à Alger et a étendu sa domination sur le nord de l’Afrique, la Tunisie ne pouvait et ne devait plus échapper à son influence. C’était presque le sous-entendu de toute la politique. L’acte qui a consacré la suzeraineté française à Tunis n’a été, pour ainsi dire, que l’expression de la force des choses. Dès lors, tout indiquait la nécessité de resserrer de plus en plus les liens de l’ancienne régence avec la nouvelle métropole, et si on était momentanément arrêté par de vieux traités, invoqués par des états étrangers, rien n’empêchait du moins d’ouvrir librement la France aux produits tunisiens. Au fond, c’est toute la question. Ce n’est cependant pas sans peine que le protectionnisme a laissé s’accomplir cet acte d’assimilation, et l’Algérie, qui a le privilège d’avoir des députés au parlement, ne s’est pas rendue sans opposer une résistance plus ou moins déguisée. La chambre a heureusement compris que traiter la Tunisie avec rigueur ou même avec indifférence, c’était risquer de la livrer à des influences ennemies. M. le ministre des affaires étrangères, par sa résolution entraînante, par la netteté de sa parole, a fait le reste ; il a enlevé le vote, un vote presque unanime. Il a consacré une fois de plus la conquête de la Tunisie par l’assimilation commerciale. C’est le meilleur des résultats. Et que prouve le succès de M. le ministre des affaires étrangères ? C’est que, si le gouvernement, au lieu de laisser la chambre livrée à ses entraînemens, à ses fantaisies ou à ses préjugés, lui faisait plus souvent sentir son autorité, il réussirait peut-être adonnera la France une politique plus digne d’elle, plus rassurante pour ses intérêts intérieurs comme pour ses intérêts extérieurs.

Dans les affaires du monde, telles qu’elles sont engagées aujourd’hui, tout compte, et par une anomalie au moins imprévue, il se trouve que des questions obscures de domination agitées au centre de l’Afrique peuvent avoir leur place dans l’ensemble des combinaisons, des rapports généraux des plus grandes puissances. Jusqu’à quel point le dernier traité, par lequel l’Allemagne et l’Angleterre se sont partagé des territoires inconnus du monde africain, peut-il avoir une influence sur la politique européenne, sur les relations des états du vieux continent ? C’est ce qui resterait à savoir et ce que le temps seul peut sans doute éclaircir. Les événemens décideront ce qui en sera. Pour le moment,