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faire aux Bulgares dans la Macédoine. De sorte que le gouvernement turc se trouve pris entre toutes ces réclamations contraires. Le plus vraisemblable est qu’il ne fera rien pour trancher cette éternelle question bulgare. Il attendra patiemment que l’Europe, jusqu’ici singulièrement divisée, ait réussi à se mettre d’accord. Il se peut sans doute qu’il y a peu de temps encore quelques-unes des puissances, l’Autriche, l’Angleterre, l’Italie, fussent disposées à appuyer les prétentions bulgares et à reconnaître le prince Ferdinand. Elles seraient peut-être un peu plus gênées aujourd’hui dans les témoignages de leur sympathie par l’incident sanglant qui vient de se passer à Sofia et qui a ému l’opinion européenne. Elles savent bien, de plus, qu’en se décidant à consacrer, pour leur part, une violation si formelle du traité de Berlin, elles délieraient du même coup la Russie des obligations de ce traité ; elles s’exposeraient à provoquer de propos délibéré des complications nouvelles, à déchaîner des conflits que la diplomatie met justement tout son zèle à éviter. M. Stamboulof, le tout-puissant ministre du prince Ferdinand de Cobourg, n’a peut-être pas tout calculé en prétendant faire accepter, à l’heure qu’il est, par l’Europe, l’exécution du major Panitza et la reconnaissance des dernières révolutions bulgares.

Voilà donc une crise de pouvoir définitivement déclarée et même déjà dénouée pour l’instant au-delà des Pyrénées ! Elle est en apparence assez simple, elle se résume dans un fait qui n’a rien d’extraordinaire : un changement de ministère, la retraite des libéraux, le retour des conservateurs aux affaires à Madrid. En réalité, elle est assez obscure, assez compliquée, ou, si l’on veut, elle est la suite d’une série d’obscurités, de complications intimes, et sans avoir précisément par elle-même rien d’imprévu, elle peut avoir des conséquences qu’il n’est pas encore facile de saisir. Elle a surtout cela de significatif, cette crise nouvelle, qu’elle marque pour ainsi dire le terme d’une première étape de la régence espagnole ; elle clôt par un changement de politique devenu nécessaire, à peu près inévitable, l’expérience libérale prolongée à laquelle M. Sagasta a présidé avec une patiente et adroite ténacité dans des circonstances assurément difficiles. Elle résume une phase caractéristique de l’histoire de l’Espagne.

Lorsqu’il y a cinq ans le roi Alphonse XII disparaissait prématurément de la scène, laissant la couronne à un enfant qui n’était même pas encore né, sous la régence d’une princesse étrangère, les conservateurs étaient au pouvoir ; ils auraient pu essayer d’y rester, ils avaient une majorité dans le parlement, la confiance du dernier souverain, ils pouvaient se considérer comme les plus fermes appuis de la dynastie. Le chef du ministère néanmoins, M. Canovas del Castillo, saisissait d’un coup d’œil le danger que cette sorte d’interrègne pouvait créer à la monarchie, l’intérêt qu’il y aurait à rallier tous les partis autour de