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502 REVUE DES DEUX MONDES. — C’est que je ne puis en déshabituer ma bouche, c’est qu’il monte sans cesse de mon cœur jusqu’à elle, et que l’événement qui s’annonce, qui nous menace, me l’impose plus que jamais... J’ai peur de vous, peur de... peur de tout!.. Vous voyez bien que je ne puis être heureuse, que je ne le serai jamais... Et ce n’est que justice. — Justice! dit Frantz en se récriant. Quoi! pour une faute dont vous n’êtes pas responsable... — Oh ! si ! interrompit Marie-Madeleine en lui mettant la main sur la bouche. — Non ! reprit le jeune homme avec force. D’ailleurs, comment une femme, une enfant serait-elle responsable en un cas pareil, quand nous nous demandons, nous autres hommes, si nous le sommes jamais? — Pourquoi donc me débattrais-je, comme je le fais, contre mes sentimens les plus chers, si je n’étais pas libre? Il ne trouva rien à répliquer, parce que cette lutte obstinée, cette lutte soutenue contre lui, contre un bonheur possible ou promis, l’impressionnait, à la fin, profondément, lui causant presque autant de douloureuse admiration peut-être que de mécontentement et d’impatience. 11 ne croyait pas beaucoup à la liberté humaine. Et cependant, en bon matérialiste, il ne pouvait en rejeter tout à fait l’hypothèse : il était bien obligé d’admettre, pour être logique, que, s’il existe un peu de jeu dans le mécanisme universel, comme sem- blent l’indiquer les irrégularités et les caprices de la nature; que, s’il y a partout des tendances plutôt que des lois, comme cela doit être en un monde qui est la résultante de forces plus ou moins aveugles, le libre arbitre peut s’exercer dans les limites de ces imperfections ou de cette élasticité. Et sa manière de voir le gênait pour répondre. — Marie-Madeleine s’en aperçut. Elle le crut ébranlé. Il n’était que pensif, se demandant pourquoi cette petite àme, faible et vaillante, avait tant de force maintenant pour lui échapper et pourquoi il avait, lui, tant d’entêtement à la poursuivre. L’idée ne lui vint même pas qu’une renonciation, qu’il eût considérée comme une suprême lâcheté, put être une générosité suprême. Aussi la jeune fille ne pouvait-elle que faire fausse route en sa défense dé- sespérée. — Oui, oui, dit-elle, libre et responsable... et, comme telle, vouée à l’expiation. — Eh bien, soit! riposta alors le jeune homme. De toute manière, vous serez malheureuse; soyez-le donc en essayant de me rendre heureux. Il commençait à la bien connaître. Elle dit tout de suite : — Il serait plus sage et plus généreux de me laisser à moi-