Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

508 REVUE DES DEUX MONDES. trop vivement menée, la chasse n’était pour ainsi dire pas suivie. Il n’y avait même que le gros de la meute qui eût franchement em- paumé la voie. Et le maître d’équipage était seul à la queue des chiens, n’ayant derrière lui que Marie-Madeleine, emmenée par son cheval, dont elle s’efforçait inutilement de modérer l’allure. Quant aux autres veneurs, quant aux piqueurs, ils étaient distancés et ral- liaient comme ils pouvaient. La chevrette réussit à sortir de l’eau sans avoir été autrement contrariée par les chiens, et elle reprit sa course sur l’autre rive. Ce que voyant, M. de Buttencourt s’arrêta et fit mine d’encourager ou de diriger sa meute. Mais, pendant ce temps, Marie-Madeleine, moins que jamais maîtresse de Fortvard, passait outre et continuait de galoper, seule maintenant, le long de la berge. Alors, M. de But- tencourt, sans plus s’occuper des chiens, du chevreuil et de la chasse, remit son cheval au galop. Et Frantz, qui arrivait en vue, comprit pourquoi Marie-Madeleine avait le meilleur cheval, le meilleur après celui du baron : il s’agissait, pour ce dernier, de tenir la jeune fille à sa discrétion et de lui parler quand il le voudrait, comme il le voudrait, autant qu’il le voudrait, — ce qu’il savait ne pouvoir faire qu’à cette condition. Inquiet ou furieux, le jeune homme piqua, poussant son cheval comme pour une course. Et c’en était une, en effet. Car M. de But- tencourt galopait toujours derrière M lle Hart. Et celle-ci, au lieu d’essayer encore de retenir sa monture, lui avait tout rendu et pa- raissait même l’exciter. — Était-ce bien une course ? N’était-ce pas plutôt une chasse, la vraie chasse? Cependant, livrés à eux-mêmes, les bons griffons de Vendée ne faisaient pas de mauvaise besogne ; ayant passé la rivière à leur tour, ils gagnaient du terrain sur leur animal et le serraient de si près qu’il n’avait plus le choix des ruses en ce lieu découvert: il lui fallait reprendre l’eau. C’est ce qu’il fit en arrivant au ru ca- nalisé qui lui barrait la route et, en cet endroit, formait une croix avec la rivière. Il se trouvait là comme en un petit lac, ayant le choix des directions pour fuir. Mais alors, les hommes du baron, qui avaient eu le temps de découvrir un gué pour passer, eux aussi, la rivière et couper au court, rejoignirent en sonnant le bat-Veau. Et la meute s’élança. C’était le commencement de la fin. De l’autre côté de la rivière, se continuait et finissait aussi l’autre chasse. Deux ou trois fois, Marie-Madeleine s’était retournée. Elle avait vu le baron de Buttencourt penché sur l’encolure de son che- val, sûr d’atteindre celle qu’il poursuivait, quoi qu’elle fît ou que fît sa monture. Et, derrière le baron, elle avait vu Frantz, secouant sa bête, perdant du terrain à chaque foulée, mais devant la re- joindre, lui aussi, tôt ou tard... bientôt même, puisqu’elle allait