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et l’aurore de la France. Plus tard seulement, le sens de la vision et du symbole apparaîtra au grand jour. Le Mont-Saint-Michel deviendra le phare de l’idéal chrétien et chevaleresque. Il luira comme l’étoile mystique de l’âme française, sa lumière éclairera les héros et les destinées supérieures de la nation. Charlemagne et saint Louis lui rendront hommage. Son rayon guidera les croisés jusqu’au Saint-Sépulcre. Dans la guerre de cent ans, le Mont-Saint-Michel sera le boulevard de la France envahie contre l’Angleterre. Du Guesclin y cherchera un appui et un refuge. Enfin, dans les forêts de la Lorraine, à l’ombre du hêtre des fées, l’image de l’archange resplendissant, apparue à une bergère voyante, réveillera la patrie française par le cœur de Jeanne d’Arc.

Le vieux sanctuaire celtique, le rocher de Bel-Héol, consacré au génie de la France chevaleresque trois cents ans avant que la France ne soit née, n’est-ce pas un phénomène frappant ? Il y a ainsi, dans l’histoire, des anticipations prophétiques qui ressemblent à des manifestations du génie latent des peuples futurs, à des jalons mystérieux de la Providence.

La dernière invasion, celle des Normands, ne fut pas la moins terrible. Charlemagne s’était déjà inquiété de ces rois de mer, « qui ne dormaient jamais sous les poutres enfumées d’un toit et ne vidaient jamais la corne de bière auprès d’un foyer habité. » Il était devenu pensif à la vue de ces pirates du Nord, qui, sur de longs vaisseaux appelés serpens de mer, rasaient les côtes et rôdaient aux embouchures des fleuves. Avec leurs proues élancées, sculptées et peintes en têtes de dragon, avec leurs voiles rouges rayées de noir, ces navires ressemblaient à des bêtes fantastiques, à des monstres terriblement vivans. Admirablement construits, munis de rameurs excellens, « ces chevaux de mer », — c’est ainsi que les Norvégiens eux-mêmes les nommaient, — montaient légèrement sur les plus grosses vagues et semblaient hennir de joie au fort de la tempête. Vers le milieu du IXe siècle, ces incursions partielles, qui duraient depuis longtemps, prirent le caractère d’une véritable invasion. Un grand nombre de Vikings, ne voulant pas se soumettre à la domination du roi Harald Harfagar, fuyaient la Norvège et cherchaient une patrie nouvelle. Ils s’établissaient aux estuaires des fleuves, dans des camps palissades, et, pénétrant dans l’intérieur des terres sur leurs navires, dévastaient le pays en tous sens. On les voyait venir dans un flamboiement d’épées, chassant devant eux les populations en fuite ; puis ils repartaient avec leur butin, laissant derrière eux la fumée de l’incendie et des spirales de corbeaux tournoyant dans le ciel gris comme des feuilles mortes. Ces hommes du Nord apparaissent comme les derniers