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échelonnés ne tiendront pas plus de 1,600 ou 1,700 mètres, au lieu de 4,000. — Assurément, une formation aussi ramassée satisfait à toutes les exigences.

Les circonstances seront-elles nombreuses où il faudra passer de cet ordre de file par groupes à la ligne de file par navires ? — Je ne le pense pas : le groupe, tel que nous l’avons conçu, tel qu’il sera formé souvent dans la pratique quand les cuirassés ne s’effraieront plus de leur propre masse, peut fort bien se réduire à un front de 150 mètres. Quel est le détroit, quel est même le chenal qui ne puisse lui livrer passage ? — Il n’est pas question ici de l’entrée d’un port, bien entendu, et nous ne nous occupons que de la navigation courante.

Reste la brume : encore faudrait-il qu’elle lût épaisse pour que ces trois navires, ainsi placés coude à coude, ne pussent s’apercevoir ; et si elle est si compacte, la ligne de file par unités n’est-elle pas l’ordre de marche le plus dangereux, quand il s’agit de cuirassés dont l’avant est armé d’un éperon tandis que l’arrière porte, fort mal défendus, les organes essentiels de la propulsion et de la direction, l’hélice et le gouvernail !

Pour le combat, enfin, pour la rencontre inopinée du moins, en admettant que le cas puisse se présenter, cet ordre de file par groupes ne s’éloigne-t-il pas trop de l’ordre de Iront ou de ses dérivés, dont l’emploi paraît s’imposer à des navires qui combattent en présentant la pointe à l’ennemi ?

À cette question, nous répondrons un peu plus tard, quand nous étudierons la tactique de combat ; mais, dès maintenant, nous pouvons affirmer, dans une sorte de postulatum, que l’armée navale ainsi rangée n’aura rien à craindre de l’ennemi, et que toute manœuvre enveloppante serait aisément déjouée par une abatée rapide de l’un des groupes sur tribord ou sur bâbord.

A l’adoption du groupe, comme unité de manœuvre, nous allons trouver d’ailleurs un avantage d’un genre particulier, auquel les officiers qui ont la pratique des escadres d’évolutions ne seront pas insensibles : c’est que ce groupe si bien lié restera directement sous les ordres, dans la main, pour ainsi dire, du chef de division. — Aujourd’hui, dans la pratique du service d’escadre, la division n’est qu’une unité administrative ; son chef voit borner son rôle à transmettre les ordres du vice-amiral, à réunir un grand nombre « d’états » dont la nécessité n’est pas toujours justifiée, et à présider des commissions techniques. A la mer, le plus souvent simple spectateur des évolutions ordonnées par le commandant en chef, cet officier général se contente de répéter les signaux du navire amiral et doit croire son ambition satisfaite quand le navire qui porte son pavillon les exécute correctement.