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les fentes la doublure de taffetas bleu ou jaune ; gants en satin vert allant jusqu’à mi-bras et garnis de dentelle, ceinturon en broderie ou en soie ouvragée, chausses de velours froncées à la ceinture et sur les genoux, garnies de gros boutons sur le côté ; bas de soie, avec jarretière enrubannée de dentelles ; la botte en cuir de Russie et les éperons dorés ; en travers de la poitrine, une écharpe de taffetas bleu ou vert et, au côté, le cimeterre à la turque avec la garde luisante d’or ou d’émail. Par-dessus le tout, un manteau court, tombant à mi-cuisse, en taffetas doublé de velours rouge.

Un habit de cette sorte, sans compter les accessoires, chemisettes, collets de dentelles, sachets, plumes, bijoux, valait quelque cinq ou six mille francs, et il n’était pas nécessaire d’être grand seigneur pour en changer souvent. La cour se ruinait en vêtemens, et, à l’imitation de la cour, toute la noblesse du royaume, selon le mot de Louis XIII, était fondue de luxe.

Tout à l’entour du grand seigneur qui s’avançait en si bel équipage, une compagnie nombreuse de parens, d’amis, de pages, de laquais se pressait pour lui faire honneur. C’était, en effet, un trait caractéristique des mœurs du temps que cet usage de la « compagnie. » On ne laissait jamais un ami aller seul soit dans une affaire, soit dans une fête, soit dans une visite de cérémonie. Le vrai signe de l’influence était le nombre de personnes que l’on traînait après soi. Quand un grand seigneur approchait d’une ville, nombre de gens allaient au-devant de lui pour lui faire cortège. S’il devait rencontrer quelque personnage plus puissant, sa suite le quittait, en partie, pour aller grossir l’autre troupe. La cour n’était rien autre chose que la « compagnie, » la « mesnie » du roi, et chaque seigneur, haut ou bas, avait de même sa maison.

Ainsi ce seigneur marchait vers le Louvre au milieu d’une foule nombreuse, sans cesse grossie par les gentilshommes que l’on rencontrait. Quittant Saint-Eustache, il passait au pied de l’hôtel de Soissons, construit par Jean Bullant, près de la Halle aux blés, suivait la rue de la Tonnellerie, réservée aux fripiers juifs ; traversait la rue Saint-Honoré, prenait la rue des Poulies, et, passant devant l’hôtel de Longue ville, il entrait au Louvre par la porte qui s’ouvrait en face l’hôtel de Bourbon, du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois.

Mais avant de pénétrer avec lui dans le palais qu’habite la majesté royale, arrêtons-nous un instant encore et jetons un dernier coup d’œil sur ce Paris si animé, si populeux, déjà si complexe, dont la silhouette dentelée apparaît par l’ouverture que la rue de Bourbon fait sur la Seine.

Nous n’avons pas tout dit, en effet, et il faudrait des volumes