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nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de fortifier le cœur et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années, il vous dit justement le roman de la médecine. » Ces paroles me semblent assez caractéristiques, et en même temps qu’elles éclairent le ridicule d’Argan, — qui est de vouloir être malade « en dépit de la nature, » — on voit sans doute où elles nous ramènent.

Si Molière n’a pas été moins violent et moins passionné contre les médecins que contre les pédans et que contre les hypocrites, les raisons qu’il en a eues sont les mêmes, ou plutôt elles n’en font qu’une. A tous tant qu’ils sont, aux Purgons comme aux Trissotins, aux Vadius comme aux Tartufes, il en veut de ce qu’ils ne suivent pas la nature, quand encore ils ne poussent pas le ridicule de leur prétention jusqu’à la vouloir combattre. Mais c’est eux qui succomberont ; et il suffira, pour en savoir autant que tous les Diafoirus du monde, que Sganarelle ou Toinette en passe la robe, en coiffe le bonnet pointu, comme il a suffi de l’honnêteté naturelle d’Elmire pour déjouer les manœuvres de Tartufe, comme il a suffi, tout « idiote qu’on l’eût rendue, » que la nature instruisît Agnès pour déjouer la « politique » d’Arnolphe. Car, encore une fois, ce ne sont point des sots, ou, si l’on aime mieux l’expression de Molière, ce ne sont point des « bêtes » que les Arnolphe, et les Tartufe, et les Purgon. Ceux-ci, en particulier, « savent, la plupart, de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser. » Mais, « pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout, » c’est ce qu’ils ne sauront jamais, et, plus habile que toutes leurs ruses, la nature, « d’elle-même. » en aura finalement raison.

Il y a là quelque chose d’autant plus surprenant que, comme on le sait assez, la vie n’a pas toujours été douce pour Molière, et que ni les ennuis, ni les humiliations, ni les chagrins aussi de toute sorte ne lui ont manqué. Si sa jeunesse irrégulière et nomade n’avait guère été pour lui qu’un long apprentissage du mépris qui s’attachait alors à la condition de comédien, la faveur même de Louis XIV n’a pas pu le défendre, dans sa maturité, contre l’insolence habituellement polie, mais quelquefois brutale aussi des gens de cour, et encore bien moins contre la grossièreté du parterre. Je ne dis rien des difficultés ou des prises qu’il eut, en sa qualité de directeur de troupe, avec les comédiens ses rivaux, avec ses acteurs, avec ses auteurs ; ou, comme auteur lui-même, avec ses adversaires et avec ses