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et horriblement brûlée. » — C’était la revanche de Charles VII, c’était aussi la vengeance du saint-siège, à qui Jeanne en avait appelé en disant : « Que tout ce que j’ai fait et dit soit transmis à Rome à notre seigneur le pape, auquel je m’en rapporte, et à Dieu d’abord. » On lui avait répliqué que les ordinaires étaient juges chacun dans son diocèse, que d’ailleurs le pape était trop loin, qu’on ne pouvait l’aller quérir, le déranger. Assurément le roi Henri VI, Bedford et Winchester étaient plus près.

On insiste, et Michelet lui-même insinue que Jeanne a manqué plus d’une fois de soumission, qu’elle n’avait pas l’esprit d’obédience, que vouloir donner pour sorcière cette chaste et sainte fille, l’entreprise était vaine autant que absurde, mais qu’elle n’était pas exempte de tout soupçon d’hérésie. Ne préférait-elle pas aux enseignemens de l’église ses propres illuminations, les voix du ciel ou le cri de son cœur, l’inspiration personnelle, le Dieu qui se cache dans le fond des âmes ? Elle a dit souvent : « Je crois bien que l’église ne peut errer ni faillir ; mais je m’en rapporte à celui qui m’a envoyée. » Sans doute, elle ne refusait pas expressément de se soumettre ; mais elle faisait ses conditions. Elle disait : « Notre seigneur, notre sire étant servi premièrement. » Elle disait aussi : « Pourvu que l’église ne me commande chose impossible. » Ne croit-on pas entendre, cent ans d’avance, le non possumus de Luther ?

Cependant les docteurs qui l’ont réhabilitée n’ont rien trouvé de scandaleux ni de malsonnant dans les réponses qu’elle fit à ses juges. Ecoutons à ce sujet l’inquisiteur Jean Bréhal, qui soutenait qu’en la décrétant d’hérésie, l’évêque de Beauvais avait commis un attentat manifeste contre l’église romaine. Ce dominicain alléguait qu’une fille de vingt ans, « occupée dans son enfance à la garde des troupeaux, aux pâturages, qui n’avait appris qu’à coudre et à filer, » n’était pas tenue de tout savoir, que la foi des simples lui suffisait, qu’on avait tendu des pièges à son ingénuité, qu’on lui avait posé perfidement « des questions raides et dures » et donné à résoudre des points de doctrine qui embarrassent les théologiens eux-mêmes. Que lui parlait-on d’église militante et d’église triomphante ? Elle n’entendait rien à ces distinctions ; elle disait : « C’est tout un de Notre-Seigneur et de l’église. » — « Il faut distinguer, lui répliquaient l’astucieux Cauchon et ses assesseurs. L’église militante, c’est nous. » Était-elle obligée de se soumettre à Cauchon ?

Ce n’est pas tout. En ce qui ne touche point à la foi, poursuit Bréhal, une erreur ne rend pas suspect, et ce que Jeanne avait dit et fait n’était pas du domaine de la foi. « Les révélations qu’elle avait reçues n’avaient rapport qu’au gouvernement politique, au relèvement du royaume de France, à l’expulsion des Anglais. » Sur tous ces points