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qu’à ses interprètes. On dira que, si les rôles de Mme Blandinet ou de Mlle Laure Aubertin étaient insignifians, Mlle Persoons et Mlle Bertiny ont eu l’art de les rendre ou de les faire paraître plus insignifians encore. On se plaindra, si le rôle de l’oncle François n’était déjà qu’une caricature, que M. Leloir, avec une rare sûreté de mauvais goût, l’ait encore chargé. Mais surtout je prévois que, de tant de « chefs-d’œuvre » qu’elle pouvait choisir, on s’indignera que la Comédie-Française soit allée prendre les Petits oiseaux. On nous dira qu’à peine est-ce du Labiche, que ces trois actes, où l’habitude d’être « drôle » est constamment gênée par la préoccupation d’être « convenable. » On recommandera de tous les côtés à M. Claretie, Célimare le Bien-Aimé, ou le Voyage de M. Perrichon, ou le Plus heureux des trois ; il en croira les admirateurs de Labiche ; nous verrons M. Coquelin cadet dans le rôle de Bocardon ou de Vernouillet, — pourquoi pas dans celui de Nonancourt ou de Beauperthuis ? — et les Petits oiseaux, si j’ose hasarder cette image, n’auront fait ainsi qu’enfoncer une porte, par laquelle, une fois ouverte, le répertoire de Labiche passera tout entier.

Ce sera, dit-on, affaire au public, et plutôt que de s’ennuyer à voir jouer Polyeucte ou Athalie, Tartufe ou le Barbier de Séville, s’il aime mieux rire aux farces de Labiche, que voulons-nous donc qu’on y fasse ? Ne faut-il pas suivre le goût ? Labiche ne vaut-il pas Mazères, et Waflard, et Fulgence ? Scribe, après tout, n’écrit pas mieux, et il est assurément moins drôle. La Cagnotte, quel chef-d’œuvre ! et un Chapeau de paille d’Italie, quelle bonne bouffonnerie ! Foin des pédans, ils nous assomment ; et foin de leurs distinctions ! Molière n’a-t-il point écrit Pourceaugnac et le Malade imaginaire ? Comme l’on peut, on s’amuse ; et qu’importe enfin le « genre » si l’on a le « plaisir ? » Mais si l’on n’a pas le « plaisir, » dirons-nous à notre tour ? si, même à la Cagnotte, on ne rit que du bout des lèvres, et pas du tout aux Petits oiseaux ! Quand on y rirait « à se tordre, » si l’on prétendait distinguer entre ses « plaisirs » et ne pas plus les confondre au théâtre qu’on ne fait dans la vie ? Et si l’on osait prétendre, enfin, qu’étant ce qu’elle est, la Comédie-Française n’est pas faite pour nous en procurer de toute sorte ? Car c’est surtout, c’est uniquement là de quoi nous nous plaignons : qu’elle manque à tous ses devoirs quand elle joue du Labiche ; et, sans parler des intérêts de l’art, qu’elle y compromette ceux de la maison même, les plus évidens, les plus séculiers, si je puis ainsi dire, et les plus matériels.

Il en est d’elle à cet égard comme du grand Opéra. Nous ne lui donnons pas la salle qu’elle occupe, et 240,000 francs par an ; nous ne faisons pas à ses « sociétaires » désavantages particuliers ; nous n’entretenons pas à grands frais un Conservatoire de musique et de déclamation pour que le répertoire du Théâtre-Français s’enrichisse des reliefs de