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il se trouve 28,000 étudians répartis entre les facultés de droit, de médecine, de théologie catholique et protestante, enfin de sciences et de lettres (ces deux dernières fondues en une seule, dite de philosophie, pour rappeler que c’est le côté philosophique et universel des sciences qui importe avant tout), 30 pour 100 de ce total d’élèves étudient la médecine, 20 pour 100 le droit, 20 pour 100 la théologie, 15 pour 100 les lettres et autant les sciences. Tous sans exception ont étudié le latin, et même le grec. Un examen de « maturité » uniforme donne seul aux jeunes gens l’accès dans toutes ces facultés indistinctement. Or, quels sont les étudians auxquels le latin, et, surtout le grec, sont pratiquement indispensables ? Les philologues et les théologiens, 35 pour 100 du nombre total, tandis que les étudians en droit, en médecine et en sciences, c’est-à-dire les deux tiers, n’en retrouvent plus aucune application sérieuse. Car il est vraiment inutile d’apprendre le latin et le grec pour saisir le sens de quelques mots scientifiques ou de quelques termes médicaux, comme anémie, typhus, choléra ou odontalgie. Pourquoi donc maintient-on en Allemagne l’étude du grec et, à plus forte raison, du latin ? C’est que, si l’Allemagne n’est pas physiologiquement de race latine, elle n’en est pas moins, comme toute nation civilisée, partiellement héritière de la grande tradition classique : c’est cette tradition que l’Allemagne, malgré sa littérature nationale et romantique, ne veut pas abandonner. Elle sait que dans l’esprit allemand, quoiqu’à un moindre degré que dans l’esprit français, subsiste encore en partie l’esprit de l’antiquité classique, mêlé à l’influence du christianisme. Elle se croit même obligée de pousser plus loin que nous l’étude du latin et du grec, parce qu’elle n’est pas déjà, latinisée par sa langue même et par plusieurs siècles d’une littérature inspirée de l’antique. Elle se souvient que, si sa littérature nationale est depuis un siècle sortie de la barbarie, c’est que les Lessing, les Herder et les Goethe « ont renouvelé sur le sol germain le sens longtemps perverti de l’antique[1]. » On connaît la science des Goethe et des Schiller en fait d’antiquité. Faut-il rappeler l’Iphigénie de Goethe, ses Élégies romaines, le journal l’Art et l’Antiquité qu’il avait fondé ; les traductions que fit Schiller de l’Iphigénie grecque et des Phéniciennes, et, enfui, ses Dieux de la Grèce ? Ce n’est pas en Allemagne, assurément, qu’on répudierait une tradition glorieuse[2].

  1. M. Brunetière, la Question du latin.
  2. On y exagère plutôt les études gréco-latines en traitant les langues anciennes comme des objets d’instruction et de savoir, au lieu d’y voir surtout des moyens d’éducation esthétique et intellectuelle.