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continuité s’applique à l’esprit national et à la littérature nationale, comme elle s’applique à la politique et à l’économie sociale. Dans la lutte pour la vie, s’il importe d’avoir assez de flexibilité pour s’adapter aux milieux nouveaux, il n’importe pas moins, nous l’avons vu, de conserver sa forme typique avec ses caractères essentiels et héréditaires : une forme, avec le plus d’unité possible dans la plus grande richesse possible, voilà ce qui assure à tout être et à tout peuple la vie et la durée. L’éducation a pour but de maintenir cette forme, de faire entrer tous les esprits dans le moule national, qui, eût-il des imperfections, a l’avantage d’offrir une individualité, une solidité, une unité où les diverses consciences viennent rassembler et multiplier leurs forces.

Comme l’avis des étrangers, pour les choses qui nous concernent, est toujours intéressant, nous ajouterons que, selon M. Fornelli, « parmi les élémens qui ont le plus contribué à faire de la France la nation la plus littéraire du monde entier, il faut placer son enseignement classique, avec cette direction constamment littéraire. » M. Fornelli ajoute que les Français peuvent, s’ils l’osent, s’éloigner de cette voie sans un danger immédiat : « La plasticité et la richesse de leur langue, la pensée et le goût profondément littéraires de la nation leur permettent de s’émanciper un peu de la sévère direction des maîtres de l’art classique, » tandis que les Italiens ne le pourraient pas. — S’émanciper un peu, soit ; mais n’abusons pas de la permission, car nous aurions bientôt perdu cette supériorité qu’on nous concède.

On le voit, il est des considérations historiques et philosophiques dont l’État ne saurait s’affranchir quand il organise un système d’instruction pour les classes dirigeantes. M. Raoul Frary aura beau dire qu’il comprend toutes les cultures, sauf celle du bois mort, la littérature latine n’est pas un bois mort, elle est une des principales racines mères dont la sève vient encore se mêler à celle de l’arbre entier et contribuer à sa floraison perpétuelle.

Outre qu’il est pour nous national, le latin est aussi la seule langue pédagogique ayant un caractère international, puisqu’elle est le commun objet d’études pour les classes éclairées de toutes les grandes nations. Si, de nos jours, les savans et les lettrés ne s’écrivent plus en latin d’un pays à l’autre, il n’y en a pas moins toujours entre les pays civilisés ce trait d’union que tout homme vraiment instruit, lettré ou savant, à quelque peuple qu’il appartienne, a passé par la culture latine. Un grand Américain a pu dire que tout homme civilisé a deux patries, la sienne et la France ; tout homme instruit peut dire qu’il a deux langues, la sienne et le latin. Le latin établit donc une sorte de parenté entre les nations. Remplacez-le, dans l’éducation des classes supérieures, par des