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d’encourager l’industrie sucrière indigène ? La querelle est fort vive : tout le monde s’en mêle, députés et consommateurs, industriels et courtiers, producteurs et syndicats agricoles, chacun à son seul point de vue. De part et d’autre, les argumens, à coups de journaux et de brochures, se croisent et ne manquent pas de révélations piquantes sur la moralité des fortunes acquises. Toujours est-il qu’il se passera encore un certain temps avant que les planteurs américains puissent satisfaire aux besoins croissans de leurs compatriotes.

Néanmoins, ils s’ingénient fort, encouragés d’ailleurs par le trésor fédéral, à améliorer leur situation. Suivant la diversité des climats, ils traitent simultanément trois genres de plantes sucrières, la canne à sucre, la betterave et enfin le sorgho, qu’ils ont innové récemment, pour combattre la pénurie progressive de la canne. Nous passons sous silence un quatrième sucre, de petite culture, celui de la sève d’érable, dont l’emploi est limité aux confiseries et aux essences.

Le sucre de cannes est le doyen des sucres sur le territoire américain ; jadis, il était le vrai roi des états du sud, enrichissant tous ses sujets. À cette heure, il est détrôné. Il n’a su résister au coup que lui a porté l’émancipation des nègres, issue de la guerre de sécession. Malgré son accroissement notable dans ces parages, — accroissement qui n’est pas sans causer des inquiétudes économiques et politiques pour l’avenir, — la race de couleur a profité de sa liberté pour ne plus retourner aux champs de cannes. Le travail des blancs y reste insuffisant, paralysé qu’il est par les ardeurs du climat : de plus, il est fort coûteux comme main-d’œuvre. Joignez à cette première cause des pratiques routinières et arriérées ; un sol quelquefois peu propice, comme en Louisiane ; un climat fort incertain et parsemé de gelées précoces, sous l’influence du courant polaire ; enfin l’active concurrence des sucriers de l’Amérique centrale, des Indes occidentales et des îles du sud du Pacifique : les causes de la décadence de la canne sont toutes trouvées.

Les plantations de cannes ont leur siège principal dans la partie inférieure de la Louisiane. Quelques-unes prospèrent au Texas, où l’on sait utiliser les chutes d’eau, à bon marché, pour le roulage des moulins ; pays étrange où des rivières, toutes formées, sortent brusquement, bouillonnantes et parfois torrentielles, des entrailles de la terre, pour aller s’y engloutir aussi soudainement après un parcours de quelques lieues et ne plus jamais reparaître à la surface du sol. On retrouve d’assez nombreuses exploitations de cannes le long du golfe du Mexique, en Floride et au sud de la Géorgie.