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qui lui avaient été écrites le 10 juillet, au lendemain du traité de Tilsit, lui parvinrent seulement le 9 août. Il n’hésita pas et se mit sans réserves et sans conditions à la disposition du roi. a Au milieu des désastres qui nous accablent, écrivait-il à Frédéric-Guillaume III en acceptant, il serait immoral de faire valoir des considérations personnelles, surtout en présence du grand exemple de fermeté que donne Votre Majesté. » Retenu cependant à Nassau par la maladie jusqu’à la fin d’août, retardé par la difficulté des communications, il ne devait arriver à Memel que le 30 septembre, près de trois mois après le traité de Tilsit. Il était donc nécessaire de prendre des mesures provisoires, et Hardenberg demanda à Frédéric-Guillaume III de constituer, pour la direction des affaires intérieures, une sorte de commission exécutive en rapports directs avec le roi, une commission immédiate composée des hommes qui avaient été dans les derniers temps ses collaborateurs, et dont la plupart étaient ses amis. Le roi, après quelques hésitations, se résolut à accepter à peu près sans réserves les propositions du ministre démissionnaire.

La commission immédiate était formée de l’élite du parti national et réformateur. Ce parti, dont les origines remontaient assez loin, avait pris conscience de lui-même en voyant se préparer, puis fondre sur l’état prussien les désastres qui l’accablaient. Il était arrivé au pouvoir avec Hardenberg, qui en était sinon l’esprit le plus ferme, du moins le plus éclairé, l’homme le plus en vue par sa situation ancienne et européenne. Stein, qui venait d’y jouer le rôle de victime, en était le caractère le plus énergique. Les membres de la commission immédiate, Shön, Niebuhr, Altenstein, Stà-gemann, Klewitz, avaient tous été, durant les derniers mois, les auxiliaires de Hardenberg.

Shön était le membre le plus actif de la commission immédiate. Dans cette sorte d’association que laissent pressentir les lettres d’Altenstein et qui s’était formée entre les collaborateurs de Hardenberg pour la défense de la bonne cause, il est possible qu’on eût formé le plan de le pousser au pouvoir ; mais le jeune conseiller n’avait encore, à trente-quatre ans, ni la situation ni l’autorité nécessaires pour qu’on lui confiât un premier rôle. Il avait dû renoncer à être préféré à Stein. Originaire de la Prusse orientale, Prussien dans toute la force du terme, et dans le sens provincial du mot, Shön s’était formé dans le commerce et l’enseignement de Kant, qui était un ami de son père. Il avait puisé dans les leçons de l’économiste Kraus, disciple lui-même de Kant, un attachement passionné aux doctrines d’Adam Smith et de l’économie politique. C’est visiblement à l’influence de Kant qu’il devait ses conceptions politiques et sociales : il rappelle le souvenir très vif que lui avait