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situation lamentable des provinces prussiennes. Il fallait reconstruire les maisons détruites, reconstituer les troupeaux, rendre des chevaux à la culture, réparer les ruines de la guerre. Schrötter proposait d’apporter à ces misères des secours et une aide matérielle, d’acheter aux frais de l’État des bestiaux qui seraient distribués aux cultivateurs. Il apparut tout de suite aux membres de la commission immédiate que ces mesures ne seraient qu’un palliatif sans portée. Shön, Stägemann et Klewitz pensaient que des « aumônes » individuelles seraient tout à fait insuffisantes à réparer les plaies du pays. Shön, particulièrement, conçut pour les idées et les « bêtes à cornes » de Schrötter un mépris dont il ne ménagea pas plus tard l’expression.

Le 17 août, la commission immédiate proposa, sous l’inspiration de Shön, un ensemble de mesures applicables aux provinces prussiennes et qui avaient le caractère de réformes sociales.

Le même jour, 17 août, Schrötter déposait un projet tout différent de celui qu’il avait présenté le 20 juillet, plus étendu et plus précis même que celui de la commission immédiate. Le trait essentiel des deux projets était la suppression au moins partielle du servage.

Shön nous a laissé sur la préparation de son rapport, du 17 août, un récit des plus dramatiques : « J’enfantai ce rapport, écrit-il dans ses mémoires, dans la peine et la douleur. Tandis que je le préparais, je reçus la nouvelle que ma femme était mourante à Königsberg. C’était, de part et d’autre, une affaire de deux ou trois heures. Atteint au plus profond de mon être, je ne pus me résoudre à abandonner la grande pensée. Par un effort surhumain, j’achevai le rapport. Je partis dès qu’il fut terminé ; mais je ne retrouvai plus l’ange qui planait sur ma vie. »

On a remarqué non sans raison que Shön eût pu, sans compromettre la réforme à laquelle il était attaché, ajourner son rapport et qu’il avait peut-être fait à ses sentimens conjugaux une violence inutile. Il faut, en tout cas, se dégager de l’impression que laisse ce récit dramatisé et revenir à l’examen des mesures proposées.

Le rapport de Shön s’inspirait d’une double idée : abolir, d’une part, le servage, supprimer, de l’autre, toutes les restrictions au libre commerce des terres qui, depuis un siècle, avaient empêché toute transformation profonde et tout progrès et fixé, en quelque sorte, le régime de la propriété.

C’étaient là sans doute des réformes importantes ; elles étaient toutefois de nature à ne produire que des résultats lointains.

Le libre commerce des terres ne pouvait amener qu’à la longue un changement, de propriétaire et la disparition en fait du privilège de la noblesse.