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Mais, s’il n’a cure de renommée lointaine, de l’Isle se montre fort empressé à plaire, à se pousser dans la société : ses fables, ses chansons, il les dédie habilement aux personnes qui peuvent lui procurer agrément, éloges flatteurs, avantages de situation, car son ambition ne va pas plus loin, et j’imagine qu’à l’exemple de beaucoup de contemporains, il regarde ce monde comme un endroit où l’on doit obtenir le plus grand nombre de sentimens ou de sensations aimables, sans autre code moral que celui de l’honneur. M. le de Lorraine, les Brionne, les Choiseul, Thomas, la princesse d’Hénin, la maréchale de Beauvau, le marquis d’Armentières, Tressan, Mmes d’Egmont, du Châtelet, etc., voilà ceux auxquels il s’adresse de préférence ; et, s’il ne partage guère les idées de ce partisan de l’ancienne étiquette qui croyait voir la monarchie décroître à mesure que les vestes se raccourcissaient et se changeaient en gilets, n’oublions pas que Marie-Antoinette elle-même laissait tomber en désuétude l’antique cérémonial, et que Voltaire faillit mourir de rire lorsque, à propos d’une commission de montres mal faite, il reçut de son dragon-peintre une lettre qui débutait ainsi : « Il faut que vous soyez bien bête, monsieur, pour… » Est-ce que Duclos, Diderot n’avaient pas obtenu la tolérance de la bonne compagnie pour leurs manières trop libres ? Duclos, sous prétexte que, là où la vertu règne, les bienséances sont inutiles, racontant des histoires tellement salées que Mme de Rochefort finissait par l’interrompre : « Vous nous croyez aussi par trop honnêtes femmes ; » Diderot, s’asseyant auprès de Catherine II et, dans la chaleur de l’improvisation, saisissant sa main, lui secouant le bras, comme il faisait avec Mme Necker, qui, plus stupéfaite encore que l’impératrice, en prenait son parti et subissait aussi le charme de cette éloquence prestigieuse. Et, après tout, de l’Isle ne commettait, en comparaison de ceux-là, que des péchés fort véniels.

Présentons d’abord le poète au lecteur. La princesse d’Hénin, ayant eu la petite vérole (la bataille de Waterloo des femmes, dira plus tard Balzac, le lendemain elles connaissent ceux qui les aiment), cette maladie effaroucha l’essaim de ses adorateurs, même le chevalier de Coigny. Plus hardi ou plus avisé, de l’Isle profita de cette désertion pour tenter une déclaration ingénieuse sous le voile de l’allégorie. Il suppose un Étourneau amoureux d’une belle Rose que ses déclarations laissent tout d’abord un peu sceptique.

L’histoire ne dit point si la Rose finit par se montrer reconnaissante envers l’Étourneau : le prince de Ligne, qui donna une suite à cette table, ajoute que la Rose devint laide, intrigante, bel esprit, qu’elle cessa d’aimer le chevalier de Coigny et que l’Amour refusa d’opérer un autre miracle. Bel esprit, peut-être ; et toutefois Mme de