Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour toute consolation le droit de se tirer de pair sous le titre de reine de Bohême.

Élisabeth, âgée de deux ans, confiée à sa grand’mère Juliane, avec ses deux frères aînés, trouvait à Kaiserslautern un asile assuré. C’est là d’abord, puis à Crossen, en Silésie, que, sous une direction sage et sévère, son jeune esprit s’habitua, au sortir du berceau, à la méditation, à l’étude et au recueillement de la pensée.

Après avoir brisé le trône de Bohême, l’empereur Ferdinand se faisant juge et partie dans une cause fort embrouillée, et déclarant Frédéric coupable de félonie envers l’empire et l’empereur son seigneur de fief, considérait ledit fief comme dévolu à l’empire. Frédéric, guerroyant comme roi de Bohême, avait toujours protesté de son dévoûment, comme électeur, au chef élu de l’empire. Ferdinand, peu soucieux de ces subtilités, accorda le Palatinat, quoique la population fût protestante, au duc de Bavière, défenseur fidèle de la cause catholique et l’un des vainqueurs de la bataille décisive livrée sous les murs de Prague. Frédéric se réfugia à La Haye. Maurice et Henri de Nassau, frères de sa mère, l’y accueillirent. La générosité des états de Hollande assurait à sa nombreuse famille une vie désormais tranquille et aisée ; mais il vivait d’espérances, voulait tenir une cour et prétendait rester en négociations avec l’Europe. Vingt ans après, Élisabeth écrivait à Descartes :

« Je continuerai aussy de vous confesser qu’encore que je ne pose pas ma félicité en choses qui dépendent de la fortune ou de la volonté des hommes, et que je ne m’estimeray absolument malheureuse quand je ne verrais jamais ma maison restituée et mes proches hors de misère, je ne saurais considérer les accidens nuisibles qui leur arrivent sans autre notion que celle du mal, ni les efforts que je fais pour leur service sans quelque sorte d’inquiétude qui n’est pas plus tôt calmée par le raisonnement, qu’un nouveau désastre en produit d’autre. »

Les embarras pressans d’argent et les espérances chimériques, sans cesse renaissantes, s’attachent au souvenir du roi et de la reine de Bohême. Les paysans et les marchands hollandais consentaient volontiers à leur donner ce nom, mais sans voir en eux les dieux de la terre et leur accorder même ni prestige, ni privilège d’aucune sorte.

Un jour, le roi de Bohême était à la chasse, et, par hasard, était entré dans un petit champ joignant une maison qu’on avait nouvellement semé de quenolles qui sont les gros naveaux dont on fait les hochepots si renommés ; le fermier du lieu, en son habit de fête de drap d’Espagne noir, avec une camisole de ratine de Florence à gros boutons d’argent massif, courut, avec un grand