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pu empêcher que vous n’ayez étudié avec beaucoup de soin tout ce qu’il y a de meilleur dans les sciences ; et on connaît l’excellence de votre esprit en ce que vous les avez parfaitement apprises en fort peu de temps. Mais j’en ai encore une autre preuve qui m’est particulière, en ce que je n’ai jamais rencontré personne qui ait si généralement et si bien entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits. Car il y en a plusieurs qui les trouvent très obscurs, même entre les meilleurs esprits et les plus doctes ; et je remarque presque en tous ceux qui conçoivent aisément les choses qui appartiennent aux mathématiques, qu’ils ne sont nullement propres à entendre celles qui se rapportent à la métaphysique, et, au contraire, que ceux à qui elles sont aisées ne peuvent comprendre les autres ; en sorte que je puis dire avec vérité que je n’ai jamais rencontré que le seul esprit de votre altesse auquel l’un et l’autre fût également facile ; ce qui fait que j’ai une très juste raison de l’estimer incomparable. »

L’illustre maître, avant de tracer ce portrait flatteur, un peu flatté peut-être, avait vu pendant plusieurs années la jeune princesse accepter le malheur avec résignation, respecter le devoir avec fermeté, défendre avec énergie l’honneur d’un grand nom.

La science d’Élisabeth inspirait à sa famille plus d’étonnement que de respect. La duchesse d’Orléans évoquait rarement le souvenir de sa tante Lisbeth sans y associer un sourire ironique. « Elle était, dit-elle, engouée de science. » Et, comme pour proposer un contraste, elle ajoute : « Sophie avait un esprit agréable, naturel et gai. » Dans sa volumineuse correspondance, où tant de sujets sont effleurés, le nom d’Élisabeth amène toujours quelque histoire invraisemblable, plus ridicule que comique, trop indécente pour qu’on puisse la transcrire, j’exagérerais en ajoutant : la lire. Mais on n’y apprendrait pas plus à connaître le caractère d’Élisabeth que celui du grand Ampère par le récit légendaire de ses distractions.

La première lettre d’Élisabeth à Descartes est du 6 mai 1643. La jeune princesse était alors âgée de vingt-cinq ans. Si le drame de famille dont la mort de L’Espinay fut le dénoûment n’était pas encore commencé, les dissentimens d’Élisabeth avec sa mère rendaient déjà sa vie difficile. La reine de Bohême laissait voir pour Louise Hollandine une préférence choquante. L’amie de Descartes veut dompter ses ennuis par l’étude. Les mystères de la métaphysique et les problèmes de la géométrie semblent absorber toute son attention ; mais, sans faire de confidences par écrit, elle se plaint de la faiblesse de son sexe et laisse deviner sa tristesse.

Élisabeth aborde les difficultés de front et ne se paie jamais de mots. Descartes a démontré l’existence de l’âme immatérielle et distincte du corps. La savante jeune fille comprend les preuves ;