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En recevant cette lettre si raisonnable, Élisabeth se montra sans doute plus conciliante, car son frère, peu de temps après, l’entretenait de ses bonnes et mauvaises vinées sur un ton complètement amical :

« Comme le sieur de Friesenhausen m’a montré la liste des plantes et semences que vous désirez pour votre jardin, j’y ay obéi avec joie, souhaitant de pouvoir vous témoigner par des effets plus considérables combien je désire m’éviter le ressentiment que vous me témoigniez pour si peu de chose et que nonobstant que mon service ait esté bien foulé par mes amis et mes ennemis, il portera toujours des fruits pour votre service tant qu’il vous plaira de l’arroser de votre bienveillance. J’espère que le vin Schwersheim de cette année aura le bonheur de satisfaire à votre goût aussi bien que le Krauterwein de Baccarah pour un autre échantillon de cette vérité et avec autant de succès pour le temps qu’il durera, comme vous me faites espérer de mes plantes et semences ; en quoy jusqu’icy le jardin le plus proche de ma chambre, où mes yeux se plaisent le plus, a esté assez fertile. Et quoy que je craigne que votre souhait de voir notre chère patrie revenir en son premier état n’arrive qu’en l’année de Platon, je ne laisse pas de vous en estre bien obligé et borneray cependant ma satisfaction au désir de me voir en une condition assez heureuse de vous en pouvoir donner avec plus de substance, comme le doit votre très humble serviteur et frère,

« CHARLES-LOUIS. »


La dernière lettre d’Élisabeth à sa sœur Louise, abbesse de Maubuisson, est touchante :

« Je vis encore, ma chère sœur, mais c’est pour me préparer à la mort. Les médecins n’entendent plus rien à ma maladie, et il ne me reste plus à cette heure qu’à me préparer pour livrer à Dieu une âme lavée dans le sang de mon sauveur. Je la connais souillée de beaucoup de péchés et particulièrement d’avoir préféré la créature au Créateur. »

Les souffrances physiques troublèrent peu à peu cette intelligence jadis tant admirée, Élisabeth, dans les dernières années de sa vie, voyait ses amis sans les reconnaître, les écoutait sans leur répondre et montrait, comme par un nouvel exemple, sans pour cela la mieux comprendre, l’union intime de l’âme et du corps dont s’effaçait en elle le désir de pénétrer métaphysiquement l’insondable mystère.


J. BERTRAND.