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parlait aux élèves des diverses théories sur le beau, sur le sublime, sur la grâce et ses conditions, sur l’objet de l’art, sur l’idéalisme et le réalisme, sur les classiques, les romantiques et les naturalistes, sur la poésie, la sculpture, la peinture, l’architecture, la musique, — Et cela avec l’aide de gravures, de photographies ou de plâtres, qui serviraient à de véritables leçons de choses ; avec l’aide aussi de ces autres leçons de choses que fournirait un texte bien choisi de Virgile ou de Tacite, de Racine ou d’Hugo, croit-on que les élèves n’y prendraient aucun intérêt, n’en retireraient pas à la fois plus de plaisir et de profit que de l’emmagasinage purement historique ou philologique ?


IV.

Comme l’étude de la littérature devrait aboutir à une doctrine élémentaire de l’art, ainsi celle de l’histoire aurait besoin d’être complétée par une doctrine élémentaire de la société humaine et de son développement. Mal entendu, l’enseignement historique se perd dans le détail de menus faits qui n’offrent plus aucun sens[1]. Bien compris et rattaché à des idées générales, l’enseignement historique devient une partie essentielle de l’éducation. L’être qui n’a aucune notion de l’histoire est neuf dans le monde comme un enfant, et même comme un orphelin qui n’aurait jamais connu ses parens. Il lui manque le sentiment de la solidarité humaine et de la solidarité nationale. Il lui manque aussi le sens du temps, ce facteur essentiel de tout ce qui est durable ; il sera la dupe de toutes les utopies improvisées, abstraites, construites en dehors de la durée et de l’histoire. Le premier rêveur venu lui

  1. Entrons au cours d’histoire, tel qu’il existe trop souvent ; nous assisterons à la même opération de cramming, de bourrage, que nous avons déjà trouvée dans les cours de sciences : l’idéal, ici, c’est la transformation des élèves en phonographes. Je lis dans une rédaction : — « Le nouveau roi de France, Eudes (887-898), voulut se faire reconnaître de l’Aquitaine. Tandis qu’il était dans le midi, un fils posthume de Louis le Bègue, Charles IV, dit le Simple, se fit proclamer roi dans une grande assemblée tenue à Reims. Le roi de Germanie Arnulf, qui indirectement se rattachait aussi à la race carlovingienne, et en qui subsistait encore l’ambition impériale, malgré la grande protestation de 887, accueillit dans la diète de Worms le prétendant, et, se déclarant son protecteur, ordonna aux comtes et aux évêques des bords de la Meuse de le soutenir. Eudes l’emporta, et pourtant consentit bientôt après à reconnaître Charles pour son seigneur en lui abandonnant le pays entre la Meuse et la Seine. Eudes continuait d’être roi et Charles n’était pas empereur. Cette situation cessa en 898, par la mort d’Eudes, et Charles le Simple fut reconnu comme seul roi. Robert, frère d’Eudes, hérita de son duché de France… » Les élèves rapporteront ces paroles sténographiées, ou à peu près ; ils apprendront par cœur les noms et les dates. On fera la même chose pour le règne de Charles le Simple, de Robert et de Raoul, etc. Ainsi entendu, l’enseignement de l’histoire est la dernière des gymnastiques intellectuelles.