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Leur prix de vente à l’usine est d’autant plus bas qu’ils veulent expédier leur produit plus loin, élargir davantage le rayon de leurs opérations, pénétrer davantage dans la zone des savonneries ou des stéarineries de Lyon ou de Paris.

Les mines de houille ne font pas autre chose, et non-seulement leurs prix de vente varient (c’est le cas de tous les industriels, sauf les chemins de fer) suivant qu’elles ont affaire à un gros ou à un petit client, mais elles réduisent d’autant plus leurs bénéfices qu’elles veulent aller plus loin, se contentant d’un minimum presque égal à zéro quand elles veulent, pour les mines du Gard, par exemple, soit pousser leurs houilles anthraciteuses à Paris, en concurrence avec les produits similaires du Nord ou de l’Angleterre, soit exporter l’excédent de leur production en Italie, en concurrence avec les houilles anglaises et allemandes.

Telle est la loi générale du commerce; il n’est pas un industriel qui, réalisant un bénéfice de 10 francs par tonne, par exemple, en vendant sur place, ne se contente, quand il y a placé tout ce qu’on peut y consommer, d’un bénéfice moindre : 8 francs, 5 francs, 1 franc et même moins, pour placer dans des régions plus éloignées l’excédent de sa production. Il n’est personne qui s’en étonne et qui dise au commerçant : Puisque vous pouvez vous contenter ici d’un bénéfice de 1 franc par tonne, pourquoi, là, ne vous en contentez-vous pas? L’industriel aurait beau jeu à répondre : On gagne ce qu’on peut et le commerce ne vit ni de philosophie, ni de formules mathématiques.

Ce qu’on ne songe pas à dire à un industriel ordinaire, pourquoi donc n’hésite-t-on pas à le dire aux chemins de fer? Y a-t-il donc deux vérités commerciales? j’entends bien la réponse : les compagnies de chemins de fer ne sont pas des industriels ordinaires : c’est une sorte de service public, fonctionnant sous la surveillance de l’Etat, qui a, pour sa création, reçu de lui d’importantes subventions. A la bonne heure! et je le veux bien ; que l’État les surveille et les contrôle, qu’il se réserve l’approbation de leurs règlemens d’exploitation, l’homologation de leurs tarifs, rien de plus naturel, je le concède de grand cœur : ce n’est pas une raison pour paralyser leur liberté commerciale, pour ne pas leur laisser, sauf à en surveiller et à en réprimer les abus, l’usage des pratiques et des droits inhérens à toute industrie.

Pourquoi demander contre eux cette excessive limitation? Pourquoi leur contester à eux seuls l’application du principe différentiel? Car, qu’on ne s’y trompe pas, c’est ce principe différentiel, loi nécessaire, nous l’avons montré, de toutes les transactions commerciales, qui est seul en cause, qu’on le veuille ou non. Nous