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qu’ils ont pu se tromper. Ils conviendraient à demi si l’on veut, qu’il y aurait quelque chose à faire : ils prétendent ne rien abandonner de leurs idées, de leurs œuvres, même les plus irritantes et les plus hasardeuses. Ils craignent, pour tout dire, d’avoir l’air de se désavouer, de paraître désarmer devant des adversaires qui ont été plus prévoyans : de telle sorte que même dans ces affaires de budget, les partis restent en présence, et que l’ordre financier aura de la chance s’il sort amélioré, raffermi de ces discussions où l’on sent toujours des passions prêtes à se réveiller.

À travers ce mouvement des choses du jour, trop souvent mêlé d’incidens vulgaires et d’agitations factices, notre mal le plus sensible, ce qui nous menace le plus, peut-être, c’est moins encore la violence ou l’inconséquence des partis qu’une certaine dépression morale. On dirait parfois que tout se rapetisse dans les idées, dans les esprits. Pour tout dire, la médiocrité nous envahit. On le sent, — on ne s’y résigne pas heureusement dans une société qui a connu toutes les grandeurs des lettres comme de la politique, et en dépit des mauvaises influences qui régnent, il y a toujours dans ce facile pays de France un généreux instinct d’idéal prompt à se réveiller. On se sent comme dédommagé des vulgarités du jour et plus à l’aise toutes les fois qu’on se retrouve devant une grande mémoire, dès qu’on a l’occasion de s’honorer en relevant des disgrâces passagères d’une mode frivole un de ces hommes qui ont été les vrais héros de la pensée ou de l’action. Les entrepreneurs de commémorations banales auront de la peine à nous faire prendre au sérieux toutes ces statues élevées par le fétichisme des partis à des personnages inconnus ou trop connus, à des renommées équivoques ou médiocres, comme celle de ce jeune Camille Desmoulins, héros bruyant d’un jour, qu’on fêtait récemment, et qui aurait peut-être bien assez de l’indulgente pitié de l’histoire ; l’instinct public, au contraire, va de lui-même à ces fêtes par lesquelles on vient de célébrer à Mâcon le centenaire de Lamartine, de raviver l’éclat d’une des plus pures gloires de la nation et du siècle. Celui-là, on peut le relever sur son piédestal et célébrer par les commémorations l’anniversaire de sa naissance ; la France, en saluant en lui un des plus prodigieux magiciens de l’imagination et de la parole, ne risque pas de s’abaisser par un fétichisme de circonstance devant la médiocrité usurpatrice. En honorant Valtissimo pocta, elle se relève elle-même.

Le pauvre grand homme, il a été depuis quelque temps, il a paru du moins, un peu délaissé et oublié. Il eut la mauvaise fortune de disparaître à la veille d’une tragédie nationale qui a tout changé, comme aussi à un instant où grandissaient déjà des générations nouvelles nourries d’autres idées, quelque peu détachées du respect du passé. Il mourait, d’ailleurs, dans les cruelles et humiliantes anxiétés de la détresse qui attrista ses vieux jours. NI par son éducation, ni par sa na-