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nature un trop brutal refus d’obéir aux injonctions de la sainte Écriture, ni contre lui-même, le grand physicien, une trop formelle accusation de trahison.


IV.

Nous avons signalé les différences essentielles qui distinguent le pari de Pascal de celui du penseur livré aux seules ressources de sa raison et de sa conscience. Dans l’état actuel des connaissances humaines, voici, très sommairement, en quels termes il nous semble que le second pourrait être établi ; cet aperçu sera le complément naturel et la conclusion de notre étude sur le problème suscité par Pascal.

La raison humaine exige, pour être satisfaite, qu’il y ait dans le Tout quelque chose qui ne dépende de rien, qui existe par soi et d’où procède le reste; c’est le divin, le vrai Dieu dont nous ne savons rien de plus. Nous procédons et dépendons de lui, comme tout ce qui n’existe pas par soi-même. Mais de quelle nature est notre dépendance? Quels sont les liens qui nous rattachent à lui? Pouvons-nous agir sans que nos actes retentissent jusqu’à notre cause première et y déterminent une réaction importante pour nous? ou bien nos actes s’effacent-ils dans l’immensité du Tout, comme les ondes expirantes produites par un caillou jeté dans la mer? Et si nous avons affaire à notre cause, au divin, est-ce uniquement pendant la durée de notre apparition sur la terre, ou bien quelque part ailleurs, au-delà et dans l’avenir? Car s’il n’est pas démontré que notre essence échappe en partie à la mort, il ne l’est pas davantage qu’elle soit tout entière anéantie avec notre corps. La virtualité complexe, quelle qu’elle soit, qui provoque et façonne l’assemblage des atomes puisés au dehors pour constituer notre corps, et qui impose à nos organes leur structure et leur usage, virtualité à la fois plastique et fonctionnelle et, en outre, susceptible de conscience, de sensibilité, d’intelligence et de volonté, existait bien avant nous, chez nos ancêtres les plus reculés, de qui nous la tenons héréditairement par une suite ininterrompue de générations; elle a maintes fois renouvelé avant nous, chez nos ascendans, et renouvelle en nous-mêmes les matériaux fournis par les alimens tirés de l’air et du sol. Puisqu’elle a subsisté et subsiste sous tant de formes corporelles successivement revêtues et dépouillées, nous ne sommes pas autorisés à affirmer qu’après avoir dépouillé la nôtre elle s’anéantira avec elle. Nous en ignorons complètement la nature, qui est bien merveilleuse, car chaque individu pubère de la série ancestrale montre en lui cette virtualité répétée et multipliée en une infinité d’exemplaires dont chacun eût suffi et