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les actes de sa volonté. Il la sent variable en lui, susceptible de croître par l’âge et l’effort ; il reconnaît, en outre, dans la valeur des êtres organisés sur la terre, une progression dont l’homme est le terme le plus élevé; il éprouve enfin, en présence du beau, une sorte d’appel de l’infini à un degré supérieur encore, où il ne peut que tendre et ne saurait pleinement atteindre qu’en dépassant la sphère terrestre. Il sent qu’il participe en tant qu’homme et peut s’associer individuellement à un essor universel vers le mieux, c’est-à-dire vers ce qui vaut toujours davantage. Cette ascension de la vie identifie la morale et l’esthétique. En effet, la perception de la beauté plastique ou musicale est accompagnée du sentiment grave et délicieux de quelque existence plus haute dont le charme s’exprime par cette beauté et dont l’élévation ne se conçoit que comme un accroissement de valeur, accroissement qui est la beauté morale, la dignité. La conscience morale, cette intime promulgation d’une loi imposée à la conduite, avertit l’homme de la nécessité où il est d’obéir à cette loi ou de déchoir, de diminuer de valeur ; le caractère obligatoire du devoir n’est pas autre chose que cette alternative. Au fond, l’impératif catégorique est la loi du processus universel vers l’organisation de plus en plus complexe pour le progrès de la dignité des espèces, et ce qu’il y a d’impératif dans cette loi, c’est la mise en demeure de se mouvoir dans le sens de ce progrès sous peine de perdre en dignité. A mesure que la conscience s’éveille chez les êtres de la série ascensionnelle, dont chaque échelon est un degré supérieur de dignité, la direction du mouvement passe de l’instinct et de l’appétit à l’intelligence et à la volonté, et la conscience morale naît pour indiquer à celles-ci dans quel sens elles doivent agir. La vie et la dignité sont dans un rapport si étroit que déchoir c’est moins vivre, c’est redescendre quelques échelons de la vie; de là vient que, chez les êtres qui ont le sentiment de leur dignité entière, l’obligation morale par le à la conscience aussi impérieusement que l’instinct de conservation.

Mais tout cela n’est-il pas illusoire et chimérique? Ces divers états moraux sont-ils révélateurs, comme nous sommes tentés de le croire, sont-ils objectifs? Ou bien, de ce qu’ils sont innés, irréductibles, ne devons-nous pas plutôt inférer qu’ils sont de simples legs accrus par une longue hérédité, de simples dépôts séculaires de préjugés utiles à la conservation des sociétés et d’impressions faites par le mystère, alors entier, de l’univers sur le cerveau vierge de nos premiers ancêtres? L’interprétation que nous en avons proposée ou telle autre qu’on en peut donner, si séduisante qu’elle soit, est-elle à un certain degré admissible? Dans quelle mesure approche-t-elle de la vérité, a-t-elle chance d’être vraie? C’est là précisément la condition aléatoire du pari forcé; le doute, à cet égard, varie d’un