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souffle, qui donne l’impulsion, — à tous les êtres puissans, à tous les objets de toute pensée, — et qui s’agite en toutes choses.


Et, comme un jour il restait assis sur une pierre, les yeux vagues et perdus dans un rêve, et qu’on lui demandait pourquoi ce silence et pourquoi ce recueillement, il répondit : « l’œil ne peut s’empêcher de voir ; — nous ne pouvons ordonner à l’oreille de ne pas entendre; — nos corps sentent, où que nous soyons, — avec ou malgré notre consentement. — De même je crois qu’il y a des pouvoirs — qui d’eux-mêmes agissent sur nos âmes ; — et que nous nourrissons notre esprit — En restant sagement passifs. »


That we can feed this mind of ours
In a wise passiveness.


IV.

Est-ce pour avoir trop pratiqué cette apathie du sage que, dès sa vingt-sixième année, Coleridge devint la proie de je ne sais quelles influences énervantes et affaiblissantes ? Nous voudrions le croire ; mais la réalité est plus triviale, et, si nous avons négligé de raconter par le menu cette seconde partie de sa vie, c’est qu’elle n’en vaut pas la peine. De bonne heure, il avait pris l’habitude de l’opium : il n’y trouvait d’abord qu’un calmant pour un mal physique ; il ne tarda pas à y trouver un excitant pour l’imagination ; peu à peu, l’habitude devint envahissante; il y laissa le peu de volonté qu’il avait Après quelques années passées dans le nord de l’Angleterre, au bord des lacs, — qui ont donné son nom à toute cette école poétique des «lakistes,» — il abandonna sa femme et ses enfans. De ce jour, il vécut aux crochets des autres, amis, éditeurs, directeurs de journaux; suivant la remarque de son biographe, il lui était resté, du communisme de sa jeunesse, un faible pour le partage des biens. En 1804, sa santé l’obligea de partir pour Malte, où il devint secrétaire du gouverneur de l’île. Il en revint, non sans peine, l’année suivante, ayant failli être arrêté en Italie, par ordre de Napoléon, pour un article de journal. De retour à Londres, il collabore à quelques journaux, fonde une revue, ébauche quelques conférences, et, faute de persévérance, échoue partout : les revues dépassaient difficilement le second numéro, et, quant aux conférences, l’orateur se faisait généralement excuser au dernier moment. Rien dans l’histoire littéraire ne donne plus complètement l’impression d’une vie manquée que l’âge mûr de cet homme qui, avec des parties si rares, eut la volonté si complètement paralysée.

Il finit par s’échouer, en 1816, chez un médecin de Londres,