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Servien et Foucquet. Il y avait des précédens, et, d’après cette maxime que, jaloux l’un de l’autre, deux surintendans ne pouvaient manquer de se surveiller l’un l’autre, Richelieu l’avait déjà mise en pratique.

Il ne faut pas oublier qu’en devenant financier, Foucquet n’en demeurait pas moins magistrat ; il conservait son office de procureur-général. Tant qu’il n’avait été que magistrat, ses relations avec Colbert n’avaient pas cessé d’être bonnes, sinon aussi affectueuses qu’aux premiers jours ; dès son entrée dans les finances, elles changèrent, non de sa part, mais du fait de son ancien ami. Colbert avait grandi ; de commis au bureau de la guerre, il était devenu conseiller d’État ; pris à Le Tellier par Mazarin, entré dans la plus intime confidence du cardinal, il était l’intendant de ses immenses richesses. Cependant, la gestion de cette fortune, si grande qu’elle fut, ne suffisait pas à ses aptitudes, encore moins à son ambition. Cette fortune n’était que celle d’un particulier ; c’était la fortune de l’État qu’il aspirait à régir. Foucquet, procureur-général, aurait pu être un allié ; Foucquet, surintendant, n’était plus qu’un rival, un obstacle qu’il fallait écarter ou rompre. Méfiant de race, Mazarin se laissa peu à peu circonvenir ; comme il n’avait point de scrupules en matière de gains, il soupçonnait naturellement les autres de n’en avoir pas davantage ; mais la différence était que ce qu’il se passait lui-même, il n’entendait pas le souffrir d’autrui. Ce fut ainsi que, surveillé par la malveillance attentive de Colbert, Foucquet, à tort ou à raison, ne tarda pas à devenir suspect. Ce n’était pas que le fourbe italien n’eût pour lui des paroles flatteuses, surtout quand il avait besoin d’argent ; or les exigences du cardinal étaient copieuses et fréquentes, et, pour y satisfaire, les assignations ni les billets de l’épargne ne suffisaient pas ; il fallait des ordonnances de comptant, c’est-à-dire du papier à échanger sur l’heure contre de beaux écus, de bonnes espèces sonnantes et trébuchantes.

En 1653, l’état des finances était fort embarrassé ; ce n’était pas seulement parce que la guerre civile, à peine finissante, se continuait par la guerre étrangère ; c’était parce que, depuis cinq ans, personne, ni gens d’affaires, ni gens de commerce, ni rentiers, ni bourgeois, ne voulaient plus prêter au gouvernement, lequel, depuis le mois de juillet 1648, était en état de banqueroute. En ce temps-là, Mazarin avait fait mine d’y résister d’abord : « Ce seroit, disait-il, faire manquer de foy au roy que de reculer les prests ou de les rayer ; » mais comme alors c’était le parlement qui, dans sa haine contre les gens d’affaires, les partisans, les traitans, menait contre eux la campagne, le rusé cardinal s’était rendu sournoisement au jugement de la compagnie et l’avait remerciée