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capitale affaire ! Depuis que M. le Prince était avec les Espagnols, la guerre devenait, plus sérieuse, partant plus coûteuse. Mazarin demandait, réclamait de l’argent à grands cris. « Sans exagération, écrivait-il alors, je ne sais plus où donner de la tête, étant accablé de tous côtés par des dépenses inévitables… Comme nous avons les dernières nécessités, il faut faire un effort. » Personne, depuis la banqueroute, ne voulait plus prêter au roi, même au denier dix, ou si, par extraordinaire, il se trouvait un traitant, assez aventureux pour braver la mauvaise chance, les conditions qu’il imposait étaient tellement usuraires que l’imagination de Molière, dans l’Avare, ne pourra guère aller au-delà. Mais si le roi n’avait plus de crédit, Foucquet, personnellement, en avait beaucoup. Il était riche, il avait l’humeur affable, il écoutait les gens, sans les rebuter comme faisait Servien ; enfin on le savait ennemi de la banqueroute ; bref, il était bien vu dans la finance. A lui on prêtait volontiers, et dans des conditions très acceptables ; sa signature valait de l’or. C’est pourquoi Mazarin l’avait pris habilement pour intermédiaire entre le roi sans crédit et les financiers en méfiance. Les bourses lui étaient ouvertes, et si de l’argent qu’il y puisait il faisait au roi des avances, c’était affaire à lui. Qu’on y prenne garde, cette grande et personnelle confiance des financiers a fait le malheur de Foucquet, d’abord parce qu’elle lui a permis d’emprunter beaucoup, ensuite et surtout parce que, l’argent traversant sa caisse avant d’aller à l’épargne, ses ennemis devaient un jour l’accabler sous cette accusation spécieuse qu’il « faisoit l’épargne chez lui, qu’il confondoit les finances royales avec les siennes, » et qu’en fin de compte l’argent qu’il prêtait au roi n’était que l’argent du roi.

En 1656, Mazarin est à La Fère ; il attend le succès de l’armée royale, qui assiège Valenciennes ; un courrier arrive, Valenciennes est dégagé ; l’Espagnol triomphe, l’armée royale bat en retraite. Vite on dépêche à Foucquet ; Foucquet, en quatre jours, sur sa propre signature, sur l’engagement de ses parens, de ses alliés, de ses amis, rassemble 900,000 livres en écus sonnans et les expédie en poste, sur des chariots, à La Fère. « Je sais, lui mande le cardinal en réponse, je sais que vous avez trouvé cette somme sur vos obligations particulières et que vous avez engagé tout ce que vous aviez au monde pour nous assister dans la conjoncture présente, et je sais aussi que vous n’avez rien que vous ne voulussiez sacrifier, non-seulement pour le service du roi, mais pour le mien particulier. J’en ai la reconnoissance que je dois et je suis touché au dernier point de la manière dont vous en avez usé. J’en ai entretenu au long Leurs Majestés, lesquelles sont tombées d’accord que vous êtes plein d’un zèle très effectif et qu’on doit faire